J’attendrai

Je ne sais pas attendre, je n’ai jamais su. Je ne sais pas ne rien faire et attendre, il faut toujours que je fasse quelque chose. Alors j’écris. Du coup j’ai quelques pièces d’avance, quelques débuts de roman, des dizaines de chansons, deux ou trois scénarios dans le tiroir. En ce moment, par exemple, j’attends de savoir ce qui va se passer pour deux films et deux pièces, je peux être pris pour trois ans. C’est en préproduction, comme on dit, ce qui signifie attendre. Attendre des réponses, attendre des sous, attendre des feux verts. Ce sont des métiers où l’on attend : metteur en scène, réalisateur, comédien. Je me suis longtemps demandé ce que faisaient les comédiens quand ils ne travaillaient pas. Depuis dix ans que je partage ma vie avec certains d’entre eux je peux répondre. Cela dépend. Certains s’étiolent, font la fête tous les soirs, roupillent toute la journée, d’autres prennent des cours divers, s’inscrivent aux stages d’été, s’occupent d’une manière qu’ils imaginent constructive. La plupart font du sport pour s’entretenir – mon Frédo, par exemple, vient de se ruiner un adducteur en reprenant la boxe française – ou projettent de retourner faire du sport, pour s’entretenir. Cela peut rendre très dingue, très alcoolique, très déprimé, très parano. Je ne pourrais pas être comédien, je ne pourrais pas attendre toute la journée que le téléphone sonne, qu’un casting vous rappelle, que votre agent vous réponde. Je ne pourrais pas mais, globalement, c’est ce que je fais. Même si c’est moi qui initie la plupart du temps mes projets, vient toujours un moment, quand le projet est lancé, où il faut juste attendre. Cette attente peut durer, parfois trois mois, parfois six mois, et au bout de cette attente – comme cela m’est arrivé l’année dernière – il peut ne rien se passer, le projet peut tomber à l’eau. C’est très très chiant, vraiment. Insupportable. Comme pour tous les chômeurs qui espèrent un boulot.

Un jour, parfois, le téléphone sonne, le producteur vous rappelle. La réponse est positive, le feu vert est lancé. Et là, pendant des mois, vous n’avez plus eu une minute à vous, trente personnes s’activent dans vos pattes, vous recevez cinquante messages par jour, et le weekend sert à préparer le travail de la semaine. Ce sont des métiers crétins, vraiment, tout ou rien, rien ou tout, pas le moindre entre-deux, pas la moindre mesure. Intermittent, ça s’appelle, comme son nom l’indique. Je dis ça mais je ne suis plus intermittent, je suis redevenu un écrivain. Un écrivain, socialement, c’est encore pire qu’un intermittent. Ça n’a pas de droits, aucun, pas de statut, pas de chômage, pas de retraite. CSP moins moins moins. Ça fait le joli en interview mais si ça vend pas ses 20.000 ça postule pour le RSA. Ça bouffe son avance en chemises blanches et ça pique les petits sachets de sucre dans les hôtels Ibis pendant la tournée des libraires. Et là, encore, je parle de ceux qui ont la chance d’être édités. Non, écrivain, à moins d’avoir le train de vie de Gandhi ou la fortune personnelle de BHL, je ne conseille pas. D’un autre côté, l’avantage, c’est que ça n’a pas besoin d’attendre. Ça se met le matin à son bureau et ça bosse.

Depuis un an et demi, en attendant, j’ai donc beaucoup écrit. Autour de moi tout le monde s’étonne, voire trouverait ça suspect, limite je bâclerais – ce qui est très très blessant, comme soupçon. Alors j’explique, j’explique qu’écrire est mon travail, depuis toujours, et que comme tout le monde je travaille. Tous les jours. Comme j’ai la chance de ne pas être sec j’en profite. Quand j’ai terminé un travail, j’en commence un autre. Et j’alterne les genres et les styles pour ne pas m’ennuyer. Théâtre, cinéma, roman ; comédie, tragédie, absurde. Mais là je compte faire une pause. Cette année, c’est promis, je n’écrirai plus une ligne, sinon pour ces chroniques, sinon à ceux que j’aime. C’est ce que j’avais décidé : 2011, je mets en scène, je réalise, mais c’est fini, je n’écris plus ! Et puis Ara m’a montré un carnet à croquis avec 32 dessins sublimes qui pourraient raconter une histoire. “J’aimerais beaucoup que tu l’écrives, cette histoire, elle m’a dit. Si tu veux.” Je n’ai même pas réfléchi, j’ai dit bien sûr. Cela fait donc maintenant une semaine que je rédige 32 petits poèmes en forme d’histoire… Je crois que j’ai fini, je ne sais pas ce que ça va donner, je lui ai rendus hier. C’est à elle de s’y atteler, maintenant, c’est à elle de bosser. J’ai hâte de voir ce que ça va rendre. C’était un vrai bonheur à écrire.

René Char disait que l’écriture était la “respiration du noyé”.
Je nage plutôt bien, pourtant. J’adore écrire.

ADDENDUM / Une pensée pour Cécille, pour Jean-Yves, pour Emma, ainsi que pour Franck Monnet. “J’adore t’écrire”, chanson extraite du deuxième album du monsieur, intitulé “Les Embellies”. Écoutez ça. C’est magnifique.


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2 commentaires

  1. karine dit :

    vraiment hâte de découvrir ce livre…. bises k

  2. Eve dit :

    Franck Monnet, qui, avec Albin de la Simone cité plus haut, est une des meilleures raisons d’écouter Vanessa Paradis qu’on puisse imaginer.
    Tout ça pour confirmer. « Les embellies » et encore plus « J’adore t’écrire » sont magnifiques. Honnêtes, pudiques et mélodiques.

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