Oscar

J’ai failli avoir un très bel accident de scooter, hier soir. Je roulais tranquillement, place de la République, sur ma file, j’allais vers le boulevard Magenta, quand un taxi a déboulé de ma gauche, sans me voir, pour me couper la route – et pour me rentrer dedans.

J’ai pilé, ma roue arrière a crissé, dérapé sur l’asphalte, et le taxi m’a enfin vu, a pilé également. Nous nous sommes retrouvés côte à côte, à l’arrêt. Un peu choqué, vraiment furieux, j’ai tourné la tête vers le chauffeur, mais l’homme ne m’a pas regardé. Il était assez vieux, avait l’air un peu saoul, très péteux, il ne voulait pas affronter mon regard. Il gardait les yeux fixés sur son volant tandis que je le fusillais des miens. Il avait sans doute peur que je descende de mon scooter, que je fasse le tour, lui hurle dessus, il avait sans doute peur que je le cogne, que je lui fasse violemment comprendre qu’il avait juste failli me tuer. Mais je n’ai rien fait, j’ai attendu qu’il daigne seulement me regarder, mais il n’a pas osé. J’ai redémarré sans rien dire.

Au feu suivant, un peu fébrile, j’ai tourné la tête vers la droite, et je suis tombé sur une affiche du magasine Première, vraiment horrible couverture, très très moche, avec deux horribles acteurs en photos, ceux d’un horrible film — Twilight je ne sais pas combien. Cela m’a changé les idées. Je n’ai plus pensé à la mort, à l’accident, à ce meurtrier putatif et péteux, j’ai juste pensé qu’à une époque, quand nous le faisions, j’avais adoré ce magazine.

Je roule boulevard Magenta et je pense à l’hôpital de Garches. L’hôpital de Garches je connais, j’ai connu. Je pense à François, je pense à Pierre, je pense à mes amis décédés sur la route, je pense à  ceux qui sont restés dans un fauteuil roulant, qui ont eu cette chance de ne pas mourir. Je pense aux mondiaux d’Athlétisme.

Ce devait être entre le javelot et le saut en hauteur féminin. Une course sans enjeu, de relation publique, un 400 mètres femmes mais en fauteuil roulant. J’ai regardé. Parmi les participantes il y avait cette jeune fille, Abigail Meyer, ou quelque chose comme ça, une jeune américaine de quatorze ou quinze ans, tellement jolie, qui souriait à la caméra avant de faire sa course, dans son fauteuil roulant de compète, à trois roues, et puis ce manque de jambes tellement étrange pour une fille aussi belle.

Le commentateur, tandis qu’on finissait de présenter les concurrentes, toutes étrangères, a osé regretter que “nous n’ayons pas plus de françaises inscrites dans ce type de disciplines”. Je pense qu’en finissant sa phrase il s’est rendu compte de sa connerie. J’avoue que cela m’a fait rire noir.

J’ai regardé la course, 400 mètres. C’est une canadienne qui a gagné, une canadienne de 40 ans, la jeune Abigail a dû finir 7 ou 8ème, et là j’ai repensé à Oscar.

Oscar Pistorius, sud-africain bonhomme, né avec une malformation des pieds, amputé à 11 mois – des deux pieds, oui, mi-chevilles. Oscar Pistorius est un cas, un phénomène, il s’est battu des années pour être accepté par la Fédération Mondiale d’Athlétisme, pour ne plus courir avec les handicapés, a perdu beaucoup de temps et beaucoup d’énergie, mais il y est arrivé, puis il a fait les minima. À Daegu il est allé jusqu’en demi-finale, et c’était incroyable à voir, extrêmement touchant, dérangeant, exemplaire.

J’ai pensé à Oscar jusqu’à la place Clichy, et puis il s’est mis à pleuvoir, un déluge. J’avais envie de danser, de courir, de chanter sous la pluie. J’étais vraiment trempé, roulant au ralenti, ne voyant rien. Je n’étais pas en fauteuil roulant, j’avais l’usage de tous mes membres, je sentais l’eau à travers mon jean, mon blouson, mes chaussures. Il faisait doux, c’était l’été. Une pluie d’été. Un bel orage.

Je me suis déshabillé dans l’ascenseur, étendu mes vêtements en rentrant, enfilé un peignoir, avalé une vodka.

Je n’ai pas dormi de la nuit.

ADDENDUM/ “Anger as beauty” d’Hawksley Worman en boucle toute la journée. “Gather at the church / Say a quiet prayer / Hold each other’s hands / Praying that you might be there”. Essayez. Je vous assure que l’on se sent bien en forme, après.

 


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3 commentaires

  1. Carine dit :

    Bonsoir,
    Plusieurs choses
    1) Pas vu cette course, mais ça ressemble à du Montel le commentaire… si, c’est lui, j’ai comme un doute sur le fait qu’il se soit rendu compte de sa connerie à la fin de sa phrase.
    2) Le combat de votre Oscar me rappelle le combat d’un autre athlète qui s’appelait… Huché? (pas sûre) : un nageur au championnat de France, qui n’avait qu’un bras, qui devait être qualifié vu son temps, mais qui a été déclassé car le réglement stipulait « faut toucher le mur avec les 2 mains ». C’est pas fort?
    La 3e chose paraîtrait bien autoritaire venant de ma part, alors qu’elle n’est que bienveillance.
    Prenez soin de vous.

  2. stéphanie dit :

    la prochaine fois que tu ne dors pas… appelle-moi! j’ajouterais un peu de glace dans ta vodka 😉 Fais gaffe sur la route… j’ai connu un vieux chinois qui faisait le taxi et qui n’avait même pas son permis… et ça se sentait!!!

  3. Oui c’est dangereux, mais qu’est ce que c’est bon…

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