Antirides

Il y a cette chanson de Jérémie Kisling, que j’adore, dans cet album de Jérémie Kisling, que j’adore, Antimatière, mon chanteur francophone préféré après Alex Beaupain.

La chanson s’appelle Savon liquide, et il y a ce très beau couplet : « La jeunesse est intrépide / La vieillesse est un pétrin / Les pluies du temps sont acides / Et tous les combats sont vains / Je dépense en antirides / Ce que j’épargne en shampooing / Je n’me sens pas vraiment vide / Je n’me sens vraiment pas plein »

Antirides. Je ne me suis jamais mis d’antirides. Je me mets une espèce de crème, après le brossage des dents le matin, du genre vitaminée et fraîche, vendue dans les grands magasins. C’est assez agréable à mettre, la peau est moins sèche et voilà. Je gagne plutôt avec le temps. Même si la barbe blanchit. Ce qui donne un genre de genre.

Tout à l’heure, j’ai vu plusieurs photos d’un homme que je n’ai pas revu depuis quelques années, pas un ami mais presque, une décennie plus tard je sais donc à quoi il ressemble. Et c’est terrible, vraiment terrible. Je ne dirai évidemment pas de qui il s’agit, ce sujet est délicat, et je veux rester élégant. Mais les ravages du temps, l’injustice inhérente à l’affaire, pourquoi certains, garçons ou filles, le traversent sans trop d’encombres, enjolivent, pourquoi d’autres sont brisés par lui. Hygiène de vie, bien sûr, tabac, alcool, sommeil, kilos, mais cela n’explique pas tout, et c’est tellement injuste.

Je ne sais pas si la vieillesse est un pétrin, elle ne l’est pas encore pour moi, elle le deviendra sûrement. J’aime plutôt bien vieillir. Je me sens mieux qu’il y a dix ans, le recul que j’ai pris sur la vie me plaît assez. Je sais ce que je veux, qui j’aime, pourquoi. Je sais ce qui est vraiment important, ce qui ne l’est pas, je ne me fais plus beaucoup avoir, je pense me tromper de moins en moins. Et physiquement tout tient encore.

Je me demandais récemment si ces petits sillons cutanés qui commencent à apparaître sur mon front, et autour de mes yeux, étaient marques de sagesse. Je l’espère tellement. Ne pas refaire les mêmes erreurs, s’en souvenir grâce aux sillons, à ces coups de canif sur la peau. Automutilation nécessaire, fêter ses dix, ses vingt, tes trente, ne pas avoir peur du temps qui passe, se dire qu’on en fera quelque chose.

Dans la postface de La Musica Deuxième, Marguerite Duras explique qu’il lui a fallu vingt ans pour écrire cette suite à La Musica. “Vingt ans que j’entends les voix brisées de ce deuxième acte, défaites par la fatigue de la nuit blanche” écrit-elle. Puis elle finit par cette phrase, la toute dernière du livre : “Quelquefois, on finit par écrire quelque chose.”

Il ne faut pas avoir peur du temps. Il faut le laisser faire son ouvrage. Ne pas s’impatienter. Creuser sagement ses sillons.

Je viens de relire la pièce. Elle m’a beaucoup moins plu qu’à ma première lecture, il y a des années de ça. Pourtant je la comprends bien mieux. Sa manière d’écrire le théâtre est assez enfantine, didactique, elle ne laisse aucune place au jeu, au ressenti des comédiens, tout y est minutieusement détaillé, chaque déplacement, chaque sentiment, chaque regard. Je ne la lisais pas pour éventuellement la monter, mais si cela avait été le cas, cette lecture m’en aurait dissuadé. Il n’y a pas de place pour la mise en scène dans ce texte, cela ressemble à du cinéma, très peu de théâtre, vraiment. Et pourtant…

“Quelquefois, on finit par écrire quelque chose.”

Une phrase suffit parfois.

Les premières d’Antimatière, par exemple : “N’attendez rien de moi, je ne sais pas quoi faire / Si je parle tout bas c’est que je voudrais me taire / Mes mots ne marchent pas, mes gestes ne touchent pas / Je souffle du vide dans l’air, je suis de l’antimatière”.

Ecoutons Jérémie Kisling, lisons Marguerite Duras.

Attendons Godot.

ADDENDUM/ Papier sur les rides, tête de Samuel Beckett. Forcément.

 


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2 commentaires

  1. sophie dit :

    commentaires à la volée :

    – oui, bizarre sensation de revoir des amis pas vus depuis longtemps, il faut peut-être les garder en souvenir comme ça : http://www.youtube.com/watch?v=wwG_F5Ct4e4

    – c’est bon de vous voir batailler avec marguerite duras.

    – on fait toujours quelque chose du temps : on le perd, on le gâche, on l’arrête, on l’étire aussi en écrivant.

  2. mireille aranias dit :

    Je ne connais pas du tout ce chanteur. je vais essayer de trouver sa trace dans les bacs de la FNAC. Je voudrais te dire que depuis que j’ai vu les Biens-aimés, je ne cesse d’y penser , c’est comme un vertige. tu avais raison. j’ai eu l’impression d’apprendre des choses sur l’amour et son partage. Voilà, Merci . Ce qui me rend hystérique, c’est lorsque FrédéricBeigbeder (nom chiant à écrire) nous fait uneliste de ces auteurs favoris, vulgairement parlant qu’est ce qu’on a foutre … Il se compare en plus à Cocteau et revendique le droit à la -frivolité .sa culture est très limitée, ce qui a plombé Cocteau. très longtemps c’est qu’on lui reprochait cet aspect mondain et frivole.et qu’il n’était pris au sérieux et objet de moqueries. Heureusement qu’il ne s’est pas (Beigbeder) comparé à Proust qui a eu une grande vie mondaine avant d’entrer en religion avec le temps; Voilà je l’ai dit.Im feel better. Bien à toi Mireille

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