Paroles

Je n’ai jamais eu d’admiration particulière pour Jean-Louis Trintignant. J’aime beaucoup cet acteur, depuis longtemps, je le trouve formidable, et voilà. J’avais une affection sincère, en revanche, pour sa fille, que j’ai connue un peu, avec qui j’ai passé des moments qui resteront inoubliables. C’était un personnage, Marie, une grande actrice, évidemment, mais surtout une personne incroyable, unique, émouvante, séduisante, punk.

La première fois que je l’ai vue, je me souviens, c’était dans le bureau d’Eric Rohmer, aux Films du Losange. Rohmer n’était pas mort et, pour rigoler, nous avions quelque peu fouillé dans ses tiroirs, nous nous étions beaucoup moqués. Je n’aimais pas Eric Rohmer, le cinéaste, m’en suis toujours beaucoup moqué – je n’ai jamais rencontré l’homme, n’ai pas d’avis le concernant. C’était pour la dernière page de Première, que nous faisions avec Jean-Yves, une rubrique que nous avions créée et qui s’appelait “Vous avez combien sur vous ?”, un questionnaire absurde, qui variait selon notre humeur, et selon l’invité – que nous prenions grand soin à choisir. Nous en avons réalisés beaucoup, une trentaine, certains restent mémorables pour moi : Woody Allen, John Cleese, Billy Cristal, et Marie Trintignant, entre autres. Je me souviens qu’à la question : “Quelle est la chose la plus improbable à laquelle vous croyez ?” – question à laquelle les gens répondaient généralement “L’Astrologie”, ou “Dieu”, elle avait répondu “Tomber amoureuse d’un homme enceinte.” Nous avions une amie commune, sa meilleure amie, nous nous sommes donc revus ensuite, dans un cadre privé. Elle était ainsi venue passer quelques jours avec nous, incognito, au festival de Cannes. Peut-être le raconterai-je plus tard, ici, ailleurs, mais je voulais parler de son père.

Je n’ai jamais eu d’admiration particulière pour les comédiens. Je ne suis pas fan de comédiens, de comédiennes. Depuis Le Bruit des gens autour, L’Amour de l’art, voire même Une Scène, certains pensent que les comédiens, les comédiennes, sont un sujet qui me fascine. Ce n’est pas le cas. Je suis plutôt moqueur, à leur endroit, et je commence à bien les connaître. Les comédiens ne me fascinent pas, je les vois venir, les trois-quarts du temps ils m’emmerdent. Mais il y a, évidemment, des exceptions.

Depuis quinze ans, maintenant, certains de mes plus proches, dans ma vie la plus intime, amicale, amoureuse, sont comédiens ou comédiennes. C’est un constat, n’ai pas choisi. À l’époque où, souvent, je réalisais les sujets de couverture de Première, portraits de comédiens, de comédiennes, précédés généralement d’entrevues, je n’aurais jamais imaginé ça. Je m’en moquais tellement. Je lisais tout les concernant, avant d’écrire, les rencontrer. Pourtant je m’amusais, sur dix feuillets, faisais de mon mieux, pour divertir, en faire des personnages de romans, avec ce ramassis de bêtises, de lieux communs, de rien du tout. En ai pourtant de bons souvenirs – je crois que mon portrait de De Niro, par exemple, était plutôt pas mal, mon copain Tonino me l’avait dit, et ça m’avait beaucoup touché, mais il y en a beaucoup, vraiment, que je n’ai aucune envie de relire, sachant que je n’ai jamais rien relu.

C’est à cause d’un papier de mon Libiot, en fait, dans L’Express, un papier, vraiment bon, sur Jean-Louis Trintignant. J’ai lu ce papier, qui parlait du film d’Haneke – pas mon cinéaste préféré, de très très loin, si l’on excepte Le Ruban blanc. Le papier était vraiment beau, réussi, inspiré. Et puis, la nuit dernière, en zappant sur mon iPad, en regardant Arte Replay, il y avait ce documentaire, de Serge Korber, sur Jean-Louis Trintignant.

Je l’ai vu au milieu de la nuit, sur un iPad, et c’était vraiment bouleversant, magnifique. Comme cette personne est bouleversante, magnifique. Nous ne parlons plus de comédiens, là, nous parlons d’un être humain magnifique – comme sa fille. Tout ce qu’il raconte, aussi simplement, vous bouleverse, vous réconcilie presque, avec cet art, que vous pouvez honnêtement conchier, si vous regardez Le Grand Journal.

Le cinéma, ce n’est pas Le Grand Journal. Et Jean-Louis Trintignant, ce n’est pas le Cinéma. Jean-Louis Trintignant a commencé sa carrière en jouant les pages dans les pièces de Vilar, derrière Gérard Philipe et Maria Casarès. Je penserai à lui en juillet, à Avignon, je vous jure. Et il finira sa vie sur les planches – il est en train de la finir, en disant des poèmes, de Prévert et de Boris Vian, avec un violoncelle à côté – pas Valentine Duteil mais presque, je dis ça et certains comprendront.

Une petite parenthèse – et je finis après, je suis trop long, mais que se passe-t-il ? Dans ce documentaire, donc, il est question de Rouge, le film de Kieslowski, avec lui et Irène Jacob. Rouge est pour moi un film-phare, il se trouve, un film fort. Je l’ai descendu à sa sortie, dans Première, lectorat assez conséquent, j’avais sincèrement détesté. Puis je l’ai revu, dix ans plus tard, je n’avais plus trente mais quarante ans, je n’étais plus du tout critique, et j’avais vécu des choses entre, je n’étais plus la même personne, et j’ai soudain adoré ce film, enfin compris, et tellement regretté ce que j’avais écrit, tellement eu honte. Je le dis là, même s’il est mort, pour Kieslowski. Comme les critiques n’osent jamais dire. Comme je regrette tellement cette blague, pourtant drôle, que j’avais écrite dans 7 à Paris, trois jours avant la mort d’Hervé Guibert : “Bernard Pivot reçoit l’écrivain biodégradable Hervé Guibert.” Et il est mort trois jours après. Et je regrette tellement cette blague.

J’essaie de faire attention aux gens, dorénavant, et je n’écris plus jamais de critique, maintenant c’est moi que l’on critique – et je prends tout, je ne dis rien, je suis d’accord, comme vous voulez. Comme Trintignant ne dit plus rien, il est d’accord.

J’ai pensé ça, en le regardant, j’ai pensé que la seule différence, entre les gens, ce n’était pas la couleur de peau, la nationalité, la religion, la politique, la richesse, le sexe. C’était si vous étiez émus par un poème de Boris Vian, de Jacques Prévert, ou si vous ne l’étiez pas.

Comme Jean-Louis Trintignant, je suis qui je suis grâce à Prévert, à Boris Vian. Et cela me bouleverse. La poésie. Regardez ce documentaire, ne serait-ce que pour Jean-Louis Trintignant, au début, disant Je voudrais pas crever, un de mes poèmes préférés, fondateurs : “Je voudrais pas crever, avant d’avoir usé, sa bouche avec ma bouche, son corps avec mes mains, le reste avec mes yeux, j’en dis pas plus faut bien, rester révérencieux”. Vous verrez en juillet, si vous venez, au Chêne Noir, Avignon, à 21h15 donc. Fille/Mère la pièce s’appelle, et il y a Boris Vian, Il faut me jurer de m’aimer.

Jean-Louis Trintignant, c’est son nom, un génie. Jean-Louis Trintignant.

ADDENDUM/ J’ai appris une nouvelle effroyable, via Facebook, il y a trois ou quatre jours, me suis senti tellement con en lisant, bouleversé, n’ai pas su comment réagir, n’ai rien écrit ni commenté – on ne peut pas apprendre ces choses-là sur Facebook. Mais que Christian et Edith sachent, que je les aime, que je pense tellement fort à eux.


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4 commentaires

  1. Ca me rappelle tes « Canneries » d’il y a un an!

  2. mireille aranias dit :

    le documentaire sur Trintignant était magnifique, après la mort de sa fille Marie que je ne connaissais mais qui me plaisait beaucoup.( les directeurs de la photo qui ont travaillé avec elle me disaient,elle est géniale et tellement gentille, cool simple quoi. Trintignant ne voulait plus rienfaire, se laisser mourir, la poésie l’a sauvé. Il avaitdit un truc très fort avec sa fille : « Marie si tu fais des conneries, sache que je serais incapable de te punir où te faire la morale. « ,. aujourd hui Trintignant a accepté de faire ce film sur la vieillesse la mort. Merci à lui.Mireille.

  3. CATICHOU FLEUR dit :

    le couplet insistant sur les acteurs m emmerdent on y croit pas trop … c est comme un président « normal »… Mais que Trintignant, sa fille et la poesie forment un trio magique oui j y crois .

  4. Carine dit :

    Et aujourd’hui, la première chose à laquelle chacun pense quand on évoque Cannes 2012, c’est le poème de Prévert, de la bouche de Trintignant « Et si on essayait d’être heureux, ne serait-ce que pour donner l’exemple ? »

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