Les bras

C’est une enfant qui crie “Les bras !” à sa mère, dans la rue. La mère est chargée, ça la saoule : “Tu peux marcher toute seule maintenant !” Mais l’enfant insiste : “Les bras !”

C’est une des toutes premières images dont je me souvienne, je me revois dans cet escalier, accroché à la rampe, quelqu’un derrière qui me tire, et moi qui crie “Les bras !”, moi qui regarde ma mère, en haut de l’escalier, bouleversée, qui ne veut pas me laisser entrer dans cette classe de maternelle, en ce premier jour, pour cette première fois. Qui ne peut rien faire pour moi.

Les bras.

J’ai vu cette photo d’Obama, avec cette femme, dans ses bras. Cette femme qui a tout perdu, et lui qui n’a rien à dire, sinon on ne vous laissera pas tomber, croyez-moi, mais il sait bien qu’il ment, qu’il la laissera tomber, qu’il va remonter dans son avion, laisser ces gens à leur malheur. Alors il la prend dans ses bras, lui qu’on dit froid, distant. Peut-être qu’il voit les caméras, peut-être qu’il pense à cette image, il sait qu’il est en ballotage, qu’il peut perdre, il a besoin d’une image forte. Peut-être aussi qu’il n’y pense pas, que c’est un geste naturel, une empathie ou un élan.

Etre arraché à des bras.

Venir se blottir dans ses bras.

Tout dans cette photo me bouleverse, j’y crois. Le visage stupéfiant de cette femme, ses deux boucles d’oreilles, ce regard lointain, brisé, mais digne, cette alliance, ce nom froissé sur le blouson, ces yeux baissés, ces cheveux blancs.

Quand j’étais chanteur, il y a très longtemps, j’ai passé une semaine à Salt Lake City, chez les Mormons. Nous y avions donné deux concerts, et vécu chez l’habitant. J’ai encore le livre chez moi, quelque part. Tout était faux chez ces gens-là. Ils planquaient leur alcool, leur café, ils fumaient en cachette, ils ne parlaient que d’argent, la ville ressemblait à celle du Prisonnier, la série, les gens faisaient peur tellement ils étaient propres, tellement ils vous souriaient, leurs filles devaient rester vierges avant le mariage, mais ils vous incitaient à aller dormir avec elles dans le jardin, sur le petit trampoline, avec une couverture, deux oreillers. J’ai vécu ça, je me souviens, je vois Romney et je me souviens. Et puis je vois cette femme dans les bras d’Obama.

La mère a fini par prendre sa fille dans les bras. Elle a cédé. Attrapé ses deux sacs Monoprix dans une main, fait grimper la petite avec l’autre. Et la petite s’accroche, elle me regarde, je marche derrière. Elle me fait des sourires, elle s’accroche à sa mère.

Sa place est dans ses bras.


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1 commentaire

  1. Carine dit :

    J’ai pensé à  » Je cherche à me retenir. Mais sa main qui me caresse le dos, ses caresses sont comme des petites tapes qu’on donne pour aider quelqu’un à retrouver son souffle »

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