Walid

J’étais à mon bureau, sur ma chaise. Elle s’est approchée de moi, m’a regardé. J’ai tapé deux fois sur ma cuisse, comme je faisais avec Walid. Elle est montée sur moi, s’est assise.

Je lui caresse la tête, elle ronronne.

C’est con de parler d’un chat, non ? Pas sexy, pas glamour. Quoi que.

C’est toujours mieux de parler d’un chat que de Jean-François Copé ou de Gérard Depardieu. Non ?

Ceux qui me lisent depuis longtemps connaissent Walid Joumblatt, il était dans mes livres, dans Les Papas et les mamans, et puis dans les journaux, les chroniques. Je parlais souvent de lui, c’était un chat envahissant, avec du caractère. Mon chat.

Je me souviens quand il est mort, c’était un mois d’aout, nous étions avec Christophe en vacances après un Avignon : Dionysos impuissant pour lui, et 107 ans pour moi. Enfin, je crois. La dame qui le gardait m’a appelé pour me dire qu’elle l’avait retrouvé dans le salon en venant le nourrir. Et puis voilà. Douze ans de vie avec un chat, et puis plus rien. Plus de chat, plus de litière, plus de boites de haricots verts et de thon dans le frigo au retour des vacances. Laisser la porte de la chambre ouverte.

J’ai fondu en larmes comme un gosse en raccrochant de ce coup de fil. Christophe est arrivé : “Qu’est-ce qu’il y a, il m’a dit ?” “Walid est mort, j’ai répondu”.

Je l’avais appelé Walid Joumblatt à cause d’une vieille histoire. Trop longue à raconter. Qui ne peut faire rire que moi. Mais j’aurais mieux fait de l’appeler Gandhi, eu égard à son caractère. Mon chat était une teigne, pas le chat sympathique, une espèce de Glenn Gould matinée de terroriste. Un Asperger félin, armé, comme son homonyme druze, qui posait son revolver sur la table aux premières conférences pour la paix au Liban : maintenant on peut causer ! Mais mon Walid était plus beau. Et il ressemblait étrangement à ce chat, cette chatte, adorable, que je garde depuis quelques jours, qui est sur mes genoux, que je caresse d’une main tout en tapant de l’autre, comme je faisais il y a mille ans.

Ce qu’il y a de bien avec les chats chiants, de caractère, c’est qu’ils laissent des souvenirs. La plupart de mes amis vous raconteraient des anecdotes, et puis sa particularité : c’était un chat qui rapportait, les épingles à cheveux, les bouchons de champagne, petites choses en métal que nous jetions au loin et derrière lesquelles il courait, con de chat, puis nous les rapportait, con de chien. Particularité sans dressage, don inné, inutile, rigolo.

Avant Walid, j’avais eu un autre chat, Tommy (a.k.a. Général Lee), dont nous partagions la garde avec mon ami Alexandre. Le contraire de Walid, un chat roux, de gouttière, chat modèle, espèce de boule de gentillesse, jamais une griffe plus haute que l’autre. Mais je ne l’avais plus depuis longtemps quand il a disparu.

Et puis nous avons pris Walid, qui m’explosait les mains à chaque tentative de vaccin : même le véto en avait peur, il le terrorisait. Je me souviens de ses “Tenez-le !!” J’en ris encore, en regardant mes cicatrices.

C’est très bizarre cette relation avec les bêtes – comme a dit tout à l’heure ma mère. On a déjà tellement de mal avec les êtres humains. Quoi que là on ne risque pas grand chose, sinon deux ou trois cicatrices, et une peine immense quand ils meurent. La même chose qu’avec les personnes, donc, oui. Mais je ne compare pas. C’était juste pour faire un mot.

Elle vient de se lever, elle en a marre, c’est chiant les écrivains – déjà que son maître en est un ! Elle va aller dans la cuisine, voir si le bol de croquettes ne s’est pas rempli par magie, alors qu’elle vient de le terminer, et qu’il ne se remplira pas avant demain matin. Boire un coup d’eau. Gratter le tapis. Taper un sprint dans le couloir sans aucune raison apparente. Puis se vautrer sur le canapé, se gratter la cuisse, se laver l’oreille, bâiller sans mettre sa patte devant. Dormir douze heures. Revenir se frotter.

C’est con, une vie de chat, quand même.

Par rapport à celles de Jean-François Copé ou Gérard Depardieu, je veux dire.

ADDENDUM/ Il faut que j’arrête avec ces addendums. C’est ridicule.


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