Après moi le déluge

J’avais déjà ce problème avec Christophe : comment dire dans les interviews, comment écrire, qu’il était mon cinéaste français en exercice préféré – et plus je vois de films français, plus j’ai tendance à dire de loin ?

Qui me connaît sait que je place l’amour et l’amitié avant tout, je suis celui qu’on peut appeler, au milieu de la nuit, pour aider à planquer un cadavre – quelle image imbécile ! – alors disons, plus prosaïquement, quelqu’un qui mentirait pour aider un ami. Et pourtant je hais le mensonge, mais j’ai de très bons amis, assez peu portés sur le meurtre, d’ailleurs je les en remercie.

Je dois donc avouer aujourd’hui, sans mentir non plus, qu’Alex Beaupain est mon chanteur français en exercice préféré. Je pourrais également dire de loin, même si la chanson française est une zone bien moins sinistrée que le cinéma français, que des auteurs et compositeurs de talent existent – que j’aime énormément, et pour certains qui sont également des amis (moins intimes, mais quand même).

Après moi le déluge, le nouvel album d’Alex, qui sort ce lundi 15 avril, est à mon sens un des plus beaux albums de chanson française de ces vingt dernières années. Le soir où il nous l’a fait écouter pour la première fois terminé, chez Valentine, j’ai le souvenir de lui avoir même dit “depuis Fantaisie Militaire”. Sans doute étais-je un peu excessif, ou l’émotion m’en avait fait oublier quelques autres, mais je suis néanmoins formel : c’est un chef-d’œuvre.

Le problème d’employer ces mots-là – et j’ai suffisamment rédigé de critiques pour le savoir, c’est qu’il est impossible d’argumenter derrière. On est toujours meilleur, et plus brillant, dans l’anathème que dans l’hagiographie, on se fait mieux mousser, et puis d’abord ça veut dire quoi, un chef-d’œuvre ?

Prenons Robert : Chef-d’œuvre, n.m., la meilleure œuvre de son auteur ; travail accompli ; ce qui est parfait en son genre. Alors oui, absolument, chef-d’œuvre. Meilleure œuvre d’Alex je ne sais pas – Les Chansons d’amour, Les Bien-Aimés, et vous verrez Joli Joli sont déjà des petits bijoux, mais meilleur album de chansons sûrement, je le pense. Travail accompli, ça oui, évidemment, ô combien, et parfait en son genre. Douze chansons parfaites, dans des styles différents, avec dans l’écriture et la composition un soin, une inspiration et une finesse rares.

Prenons par exemple le début de Profondément superficiel (et là je me vois me lancer devant vous dans un commentaire composé comme déjà je détestais à l’école, puis que j’ai détesté dans la presse, puis dans ma vie d’auteur, donc je vais m’arrêter très très vite) (pour être tout à fait honnête, il y avait dans la parenthèse précédente une très très très bonne vanne sur Les Cahiers du Cinéma – mais bon, pas d’anathème on a dit).

Plus le temps va, plus je me creuse / Une mine à ciel ouvert / Une vraie vallée de Chevreuse / Un chantier, une carrière / Mais de ces fouilles, rien ne ressort / Ni fer ni houille, ni pierres ni or / Or / C’est peut-être moi / Le moineau sans cervelle / La coquille de noix / Vidée de l’essentiel / Profondément superficiel

Le tout sur une musique et des arrangements que n’aurait pas renié Burt Bacharach au meilleur de son art. Et cette chanson me tue de bonheur, une chanson du matin, comme ce si parfait Coule (dont Julien Clerc a fait la musique, et qui peut se danser en pleurant, ce qui n’est pas un mince exploit).

Je coule, je coule / Je fuis / Ça n’arrête pas / Ce dégât des eaux qui roule sur / Mes joues, oh je crois / Qu’il faudrait des heures pour arranger cela / Faut tout refaire l’intérieur de moi / Trouver près du cœur, le tuyau percé / Fermer des douleurs le robinet / Aller au cadastre, voir dans le registre / Le point de départ du désastre, l’origine du sinistre

Quel bonheur quand j’ai entendu ça pour la première fois, quel bonheur quand je la réécoute. Comme un chapitre adoré, un poème qui vous bouleverse, une image chérie, comme une putain de bonne chanson. Et il y en a dix autres encore, toutes de cette trempe. Grands soirs, Après moi le déluge, Ça m’amuse plus, Pacotille, Vite, Contre le vent, En quarantaine, Je suis un souvenir, Baiser tout le temps, Je peux aimer pour deux.

Je ne vais pas faire des heures, allez, mais que tout ça est beau et bon, comme je suis fier de mes amis.

Ecoutez cet album, allez voir Alex en concert, c’est tellement tellement rare, la beauté, l’intelligence, l’amour, l’humour, l’élégance, le talent.


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1 commentaire

  1. Tioum dit :

    Écouté tardivement mais sûrement.
    « avec dans l’écriture et la composition un soin, une inspiration et une finesse rares »
    Vérifié et validé.

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