Un Français (3)

eceb8ea8a558d8b4dd71577030e1d798On n’appelle plus ça la “censure”, mais la “classification”. Interdit aux moins de 12 ans, le verdict est tombé. Mazette, comme disait Olivier Marchal dans Le Bruit des gens autour. Si l’on m’avait dit, il y a quelques années, que je réaliserais un film interdit aux moins de 12 ans, j’aurais pensé à cause du sexe, pas à cause de la violence. Mais si l’on m’avait dit, il y a quelques années, que je réaliserais ce film…

Depuis que la bande-annonce est sortie, je répète la même chose : c’est un film de fiction, avec des personnages fictifs, c’est un film de cinéma, pas un film de skinheads – le côté “skinheads”, ce ne sont que les 25 premières minutes, et le film fait 1h40, se déroule sur vingt-huit ans ; non, ça n’a rien à voir avec American History X, mais alors rien du tout, le contraire, à la limite Alan Clarke, Shane Meadows – mais personne ne connait Alan Clarke, Shane Meadows ; oui, ce sont des personnages, des comédiens, de la mise en scène, de l’écriture, DU CINÉMA – du cinéma inspiré de faits réels, inspiré, donc réécrit, adapté, inventé ; non je ne “dénonce” rien, je ne “dénonce” pas, je n’aime pas ce terme, je ne suis pas une balance, je raconte UNE HISTOIRE, les spectateurs jugeront, se feront leur idée, je fais toujours comme ça, que ce soit dans les livres, dans les pièces, et même dans les chroniques, au cinéma pareil, je ne prémâche pas le travail, les gens sont assez grands, assez intelligents… Même ceux qui me traitent de “gaucho”, de “bobo de merde”, ou de “sioniste” (sic) ! Vous êtes gentils mais non, ça va. Moi je n’insulte personne, je fais un film de paix, un film sans haine, sans caricatures (et je ne parle pas de dessins), je raconte juste la vie d’un homme, né au même endroit que moi, et à la même époque, même quartier, même milieu, même camarades de bac à sable – et qui, eux, sont devenus skinheads, qui sont tombés dans la violence, dans la haine, dont quelques-uns sont morts, dont quelques-uns sont loin, dont quelques-uns n’ont pas changé, dont quelques-uns sont quelqu’un d’autre.

Ça ne change pas un homme, disait je crois un de nos chanteurs, ben si, vraiment, parfois, tant mieux. Changeons. Tous autant que nous sommes changeons. Soyons moins cons, soyons meilleurs. Mon personnage principal change, et si le film s’appelle Un Français, c’est qu’il se définit ainsi, ainsi dans les deux France, celles qui se crachent à la gueule, “Travail Famille Patrie” d’un côté, “Liberté Égalité Fraternité” de l’autre. Mais la haine a gagné, est partout aujourd’hui, entre ces deux France, oui, mais même à l’intérieur de la même, à l’extrême droite ça ne peut pas se blairer, à l’UMP ça ne peut pas se blairer, au Parti Socialiste ça ne peut pas se blairer, à l’extrême gauche ça ne peut pas se blairer – et même au centre, ou chez les verts, ça ne peut pas se blairer. Pas une once d’exemplarité, pas de modèles, pas d’union, pas d’élan, pas de compassion, pas d’altruisme, pas D’AMOUR. C’est aussi ça la France, oui, des gens qui ne peuvent pas se blairer, qui se taclent, se bashent, se haïssent, comme les punks et les skins, les reds et les boneheads

Et pourtant j’adore ce pays, j’adore ceux qui ont fait ce pays, mon pays, j’adore ceux qui furent mes modèles, les Camus, les Brassens, les Prévert, les Desproges, ou les Vian. Pas d’hommes politiques dans le tas, non, mais de très grands français, qui ont fait ce pays, sa culture, son honneur, et tant d’autres grands hommes, dans la science, dans la médecine, dans l’astronomie, dans les mathématiques, dans l’Histoire… Des gens qui nous élèvent, aux deux beaux sens du terme… Des gens qui rendent meilleurs.

Un Français, oui, soixante-cinq millions de films pourraient s’intituler Un Français, je vois le débat lancé là-dessus… Tout ça pour une bande-annonce… Personne pour parler mise en scène, comédie, caméra, plans séquences, scénario… Personne pour parler cinéma – comme si je pouvais faire “mal à la France”, moi, avec un film…

Sans déconner, “La France”, ça va, elle a bien d’autres problèmes à régler.

Et moi j’ai une “Interdiction aux moins de 12 ans”, en plus…

Alors bon.

ADDENDUM/ Alors non, je suis pas d’humeur.

Photo Jacques Prévert, devant le magasin Mérode, par Robert Doisneau, 1953


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5 commentaires

  1. Nicolasacco dit :

    Belle mise au point. Dommage qu’elle fut si nécessaire. Que d’âneries depuis que les minifachos ont découvert que le film existait…
    On ira voir. Et on verra bien si on est touchés par cette fiction. Mais le déferlement de bas du front ici ou ailleurs me donne déjà un apriori positif. Il fallait que ce film se fasse.
    Et tout va bien, j’ai plus de 12 ans 😉
    Merci Diasteme.

  2. Ginie dit :

    Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde. Albert CAMUS

  3. Al’ dit :

    Quand bien même ce film traiterait uniquement du cas des Skin dans son intégralité, où serait le problème? chose qui n’est d’ailleurs pas son cas. Les gens ont peur, les gens sont aujourd’hui pleins d’angoisses et ça en devient surréaliste. Les films d’action déroulent de la violence à grande quantité tout au long des films, refont les guerres et tuent par milliers mais cela , c’est du cinéma alors que vous, Mr; vous ne montrez qu’une partie de la réalité française dans ce qu’elle a de plus effrayant certes mais vrai. L’autre effet est que , sans cette polémique je ne serai probablement pas en train d’écrire ce commentaire et le 10 Juin je sais ce que je chercherai à regarder comme film.

  4. Olivier dit :

    Bonjour,

    Je suis « tombé sur vous » en regardant Canal ce soir. Intrigué > internet (triste réflexe hélas devenu réalité).

    La photo illustrant votre billet me parle, comme on dit. Prévert, je suis client. Et dans ce billet, ces mots que j’ai si souvent envie d’écrire : « Mais la haine a gagné, est partout aujourd’hui ».

    On ne peut plus se blairer, on n’a plus envie que de tuer et on passe pour un con si on par malheur on ose parler d’amour. Haïr, c’est top, c’est la valeur du moment. Aimer, c’est dépassé.

    Je n’irai pas voir voir film au cinéma (désolé) parce que je ne vais plus au cinéma depuis des années, mais j’achèterai probablement le DVD et/ou regarderai son passage en télé.

    Avec mon salut amical.

  5. un jeune dit :

    Très beau texte. Merci. Je ne vous connaissais pas, et comme Olivier, j’étais intrigué par le « buzz » (affreux mot) autour de vous donc j’ai atterri ici.
    Tout ça pour dire que j’irai voir votre film. Las! C’en deviendrait presque un acte militant 🙁

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