L’Histoire de la Photographie

J’ai fini par choper la technique mais ça m’a pris deux ou trois ans. Ça ne m’arrive heureusement pas souvent – j’ai des amis “vedettes” à qui ça arrive tous les jours, dans la rue, quand ils marchent, j’ai vécu ça à côté d’eux, et très honnêtement c’est inouï – moi ça ne m’arrive seulement qu’après chaque projection, chaque débat, chaque rencontre, ou bien alors à Avignon, mais Avignon ça ne compte pas.

Refuser un selfie, en fait, c’est assez simple, il suffit de dire non, non-non, très gentiment : je ne fais pas de selfie, je déteste qu’on me prenne en photo, mon grand-père était navajo, je ne crois pas en Dieu mais je crois qu’une photo vole une partie de votre âme, et il ne m’en reste que très peu, vous comprendrez que j’y tienne, mais je veux bien faire un bisou.

Généralement les gens rigolent, vous laissent tranquille, se prennent en photo seuls dans la salle – pour je ne sais pas bien quelle raison, pour se prouver qu’ils étaient là.

Je ne suis pas sur Instagram, ni sur Twitter. Mais plein d’amis y sont, alors je regarde de temps en temps, en voyeur.

Il y a des choses très rigolotes, légères, jolies, mais la plupart du temps c’est assez embarrassant. Toujours eu envie de lire ce qu’aurait écrit Bourdieu sur le phénomène Instagram. Des gens qui se prennent en photo, tout le temps, avec un téléphone, pour se prouver qu’ils sont vivants, qu’ils sont bandants, qu’ils ont une existence fantastique, qu’ils mangent une nourriture fantastique, qu’ils vont dans des endroits fantastiques, et qu’ils ont des enfants si beaux.

Je n’ai rien contre l’exhibitionnisme, j’aime même plutôt bien ça, je trouve ça émouvant – ou excitant si c’est un jeu. Mais dans le métier que j’exerce cela a pris un tour vraiment très ennuyeux. Pour les comédiens, par exemple. En France, aujourd’hui, il faut quand même savoir que les producteurs s’intéressent au nombre de followers des acteurs et des actrices sur Instagram. C’est devenu un critère, quasi de sélection. Evidemment pour ça que tous les acteurs y sont – même Isabelle Huppert. Ils n’ont pas le choix, en fait. Cela fait partie du système, des gens peuvent gérer ça pour eux mais la plupart le font eux-mêmes.

Ce qu’ils oublient, c’est que les réalisateurs ou les metteurs en scène peuvent aussi aller voir, que c’est quand même eux qui choisissent à la fin, et des fois c’est assez pathétique, ça ne donne pas du tout envie de travailler avec ces comédiens – commentaires et hashtags inclus. Il faut se rendre compte de ça, il faut le dire simplement : les producteurs de cinéma, les financiers de cinéma, dans ce pays, de nos jours, ne vont pas au théâtre voir jouer les comédiens, ils ne regardent pas les courts-métrages, ils ne vont pas dans les Conservatoires, ils regardent des comptes Instagram. Evidemment pas tous : beaucoup.

Mais si je déteste autant les selfies, Instagram, cela n’a rien de sociologique, ni de corporatiste, c’est parce que j’adore la photo. Faire une photo c’est un art, c’est un travail, un savoir-faire. Et un selfie c’est moche. Même avec tous ces nouveaux filtres, cette petite frime : la beauté est dans l’œil de celui qui regarde.

J’ai commencé à faire de la photo très jeune, en argentique, en noir et blanc, je développais dans des bacs, chez le père de ma copine Véro, à Courbevoie, juste en face de Montalembert. Puis, très vite, à vingt ans, j’ai commencé à écrire dans la presse, et là j’ai travaillé avec de très grands photographes. J’ai arrêté de faire des photos. J’ai regardé faire, et j’ai appris.

De 7 à Paris à Première, en passant par L’Autre Journal, j’ai vraiment eu beaucoup de chance, de partir en reportage, en interview, de travailler avec Jean-Baptiste Mondino, Stéphane Sednaoui, Antoine Le Grand, Alain Duplantier, Denis Rouvre, Richard Aujard, Michel Haddi, Patrick Swirc, Annie Leibovitz, j’en oublie plein. Notamment Richard Schroeder, comment pourrais-je l’oublier lui, lui qui a fait les affiches de presque toutes mes pièces, qui est mon ami, comme les quelques autres grands photographes que j’ai rencontrés ensuite, avec qui j’ai également travaillé, et qui me sont très chers, Fred Stucin, et bien sûr Vanessa Filho.

Je ne crois pas qu’Instagram va tuer la photo – le smurf n’a pas tué la danse, la tecktonik non plus, même si là on était à deux doigts.

Dans le scénario des Châteaux de sable, que nous avons écrit avec mon ami le réalisateur Olivier Jahan (je crois qu’on le trouve sur internet – pas Olivier, le scénario), nous nous étions fait bien plaisir, nous avions mis plein de photos – la photo jouant un rôle important dans le film. Il y avait du Doisneau, du Brassaï, du Joel Meyerowitz, du Gregory Crewdson, du Francesca Woodman, du Man Ray et du Lee Miller, du Jan Saudek, du Martin Parr, du Nan Goldin, de nombreux autres encore. Et quel plaisir ce fut que de rechercher ces photos, de les choisir, les maquetter… Se replonger dans L’Histoire de la Photographie.

Je n’ai pas de beaucoup de photos chez moi, sur mes murs. Juste ce portrait de Rickie Lee Jones, en noir et blanc, sublime, signé Richard Schroeder, qu’il m’a offert il y a longtemps, et qui ne m’a jamais quitté, qui est toujours derrière moi quand je travaille. Et la photo de cette jeune fille, la tête dans une bassine, dans l’herbe, les cheveux mouillés, que m’a offert Christophe il y a de nombreuses années, et qui est toujours dans ma cuisine, qui a suivi les déménagements. Je n’ai pas de photos des gens que j’aime, ou que j’ai aimés. Je n’aime pas cette idée de les garder figés, sur un mur, dans un cadre, à un instant précis de leur vie. En même temps je n’ai plus rien sur mes murs, j’ai tout viré, toutes les affiches de films, les affiches de pièces, les tableaux, les souvenirs, les photos. Il n’y a plus que cet élément de décor du Bruit de gens autour que m’avait fait mon Riton, une petite pancarte “LOGES”, peinte en bleu sur un fond marron, avec une flèche, qu’on voit derrière Marchal quand il rentre dans la chambre de Judith et de Jeanne dans le film.

Va venir ce moment compliqué de choisir une photo pour illustrer ce texte.

Un petit selfie et hop !

Mais je vais me débrouiller.

Une dernière petite chose, que j’avais envie de raconter.

Un livre sublime de photos est celui que Robert Doisneau a consacré à son ami Maurice Baquet. Ballade pour violoncelle et chambre noire (tapez Doisneau & Baquet sur Google, vous verrez, il y en a une dizaine, magnifiques). Il se trouve que j’ai toujours été un admirateur de Doisneau, de Prévert, du groupe Octobre, de Maurice Baquet. La vie a fait qu’un de ses fils, Stéphane, soit devenu mon éclairagiste – et surtout mon ami. En 2004 ou 2005, je ne sais plus, nous jouions 107 ANS au Théâtre de la Pépinière, à Paris, avec Fred, et Stéphane faisait les lumières. Juste avant une représentation, Stéphane est venu me voir, extrêmement ému, en me disant que son père allait peut-être venir – son père qui avait plus de quatre-vingt-dix ans, qui était presque aveugle, même s’il avait tout son esprit. Il voulait venir voir un spectacle, qu’éclairait son fils, et dont on lui avait dit le plus grand bien. Maurice Baquet est venu, voilà. Et après la représentation il a demandé à nous parler, à Frédéric et à moi, et puis il nous a dit tellement de gentillesses, lui, Maurice Baquet, le musicien, le comédien, le meilleur ami de Prévert et de Doisneau. J’ai rencontré beaucoup de “vedettes” dans ma vie, des “stars”, j’ai vécu plein plein de choses très flatteuses, sur mon travail au théâtre, puis ensuite sur mes films, mais, aujourd’hui encore, la chose la plus émouvante pour moi, liée à mon travail, c’est que Maurice Baquet ait vu ma pièce, qu’il l’ait aimée, et que j’ai pu le serrer dans mes bras.

ADDENDUM/ Je ne vais pas tenir ce rythme, peut-être un dernier avant lundi, ensuite les vacances seront finies, il va falloir que je retourne travailler. Quand je pense que pendant des années écrire ce genre de textes c’était ça mon travail, on me payait pour ça. Mais pourquoi ai-je quitté ce travail !? D’un autre côté, comme dit Simone, “La Nostalgie ça va bien mais trois secondes”.

© Fierté quand même de cette photo, extraite d’une série de Jean-Baptiste Mondino, faite à l’occasion de ma rencontre avec Tom Waits pour L’Autre Journal. Dédicace à Alain Kruger.


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