Saraband

J’ai revu Saraband hier soir, le dernier Bergman, sorti en France en 2004, et dont la première vision m’avait je me souviens bouleversé. J’ai revu le dernier Bergman – qui est sans doute le réalisateur que j’ai le plus aimé dans mon adolescence, avec Fellini et Woody Allen – parce que demain, quelqu’un qui m’est très cher va démarrer son premier film. Il y avait sans doute quelque chose d’un peu mystique dans cette vision, bien que je ne sois pas quelqu’un de mystique, quelque chose de l’ordre de la transmission, de ces forces de l’esprit, un petit peu ridicules, mais qui se sentent parfois, et il y avait le plaisir, aussi, de revoir Saraband.

Je ne sais pas pourquoi j’ai tant aimé Bergman. À douze ou treize ans c’est étrange. Je passais à côté des films sortant à cette époque, je me foutais de ces teenage movies qui noyaient les écrans et sont aujourd’hui cultes, les E.T., les John Hughes, et consorts, je me foutais des films de mon âge. J’aimais Bergman et Huit et demi, Félicité de Christine Pascal, Manhattan, Apocalypse Now, Le Parrain, Annie Hall, All that jazz (que j’ai aimé ce film, que j’ai aimé cet homme, Bob Fosse !), mais Bergman était mon idole : Scènes de la vie conjugale, Persona, Sonate d’automne, Cris et chuchotementsFanny et Alexandre

Je n’avais plus treize ans quand j’ai vu Saraband, j’étais un homme, encore jeune, mais qui avait vécu, qui avait souffert, qui avait aimé, je savais sans doute plus de quoi parlait Bergman que quand je voyais ses films au Ciné-club de Courbevoie. Et pourtant c’était la même chose, ce plaisir fou de la justesse, de la beauté, de la grandeur, de faire de la vie autre chose, autre chose d’un peu poétique, loin de la télévision, loin d’internet naissant, loin de ces films médiocres que je voyais alors. Je n’ai jamais eu de maîtres, je ne suis pas très idoles, mais Bergman, quoi, quand même.

Personne ne m’a parlé de Bergman en parlant d’Un Français. Et je n’en ai évidemment jamais parlé moi. Pourtant Bergman a été là, très tôt, quelque part dans un coin. Ceux qui connaissent un peu sa vie comprendront, il en parle dans son livre magnifique, Lanterna Magica, ses années de nazisme, tout jeune, avec son père religieux rigoriste, et son frère aîné militant ; sa fascination pour Hitler, quand il l’avait découvert, adolescent, dans une famille allemande où il passait l’été, famille hitlérienne type, la force du discours.

Ce n’est qu’en 46, en découvrant les images des camps, que Bergman a compris. Il avait 27 ans, et sa vie enfin commençait. Il ne s’en est jamais remis, et tout ce qu’il a fait par la suite, peut-être, est à lire à l’aune de cela. Devenir quelqu’un d’autre. Comme le héros de mon film.

J’aime les gens qui font des erreurs, mais qui l’admettent, tentent de se racheter. J’ai dû en faire plein dans ma vie. Bien sûr pas comme la sienne, mais alors… Chance de naître à une autre époque, de pouvoir se choisir un combat. C’est important de choisir un combat, une chose pour laquelle on se bat, ou contre laquelle on se bat, dans sa vie personnelle et même dans son travail, on ne peut pas se battre contre tout, les injustices et les épreuves, la folie de ce monde, ceux qui se battent contre tout se battent mal, ils font de la politique, un peu ceci un peu cela, rien de concret vraiment. Il faut se répartir les tâches, personne n’est omniscient, totipotent comme dit Macron, même si le terme dans son cas est impropre.

Quand on lit les écrits de Bergman, la manière dont il faisait des films – aussi des pièces, évidemment, on se rend compte que cet homme n’avait pas de théories, il ne savait pas bien, il faisait de son mieux.

Saraband est un film que l’on devrait montrer à tous les cinéastes, en herbe ou confirmés, à tous les producteurs, à tous les financiers, à tous ces gens qui savent. C’est un téléfilm à la base, rien de spectaculaire, avec même des images en DV, c’est un homme à la fin de sa vie qui retrouve une femme qu’il a aimée, une femme qui l’a aimé. L’essence même de la vie. Et Bergman savait bien que c’était son dernier film, avec son vieil ami, Erland Josephson, et cette grande comédienne qui a partagé sa vie et fait de si beaux films avec lui, Liv Ullmann. En termes scénaristiques, comme disent les spécialistes, tous ceux qui croient savoir, mais qui ne savent pas écrire, il ne se passe rien, c’est nul, pas de cliffhangers, pas de sous-intrigues, pas de fausses pistes, on n’en fera jamais une série pour Canal ou Netflix. Il n’y a que de la beauté, que du cœur, que de la vie. De la vie en fin de parcours, sans doute la plus touchante. Le talent d’un grand homme, ses blessures, ses échecs, ses regrets, sa tristesse, sa sincérité folle, son amour, et la musique de Bach qui vous déchire le cœur.

Le plus beau film du monde.

Quand on démarre un film, il faut toujours essayer de faire le plus beau film du monde. Que ce soit son premier, son dernier.

Il faut se foutre du reste. Des théories, de ceux qui savent. Il faut tourner avec le coeur. C’est le seul organe important.

Le plus beau film du monde.


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