De l’estomac

“Je suis sûr que tu as le plus bel intestin grêle qu’il puisse être donné de voir”. J’ai écrit ça, c’est dans Une Scène. C’est ma nouvelle “phrase préférée que j’ai écrite” au monde. Elle est passée devant “Sexuellement, se faire masturber au petit matin dans une Renault ayant appartenu à un pendu n’était pas des plus épanouissants” – in Les Papas et les mamans (présente dans la version d’Hervé et Samuel aux Déchargeurs), qui a tenu la corde longtemps, jusqu’à “Il faut courir, il faut hurler, il ne faut pas se laisser faire” de 107 ans, ou “Être deux, c’est être la moitié d’un, alors qu’être un, c’est être personne…” de La Tour de Pise.

C’est très bizarre, ces histoires de phrases. On en écrit pourtant des tonnes, de phrases, on les aligne, on les enchaîne, on les ressasse, les réécoute, on les peaufine, et au final, souvent, on n’en retient qu’une, et jamais la même que les autres – quand la pièce, ou le roman, ou le film, sont achevés.

Ces derniers jours, par exemple, j’ai réentendu La Tour de Pise, et Les Papas et les mamans, que je n’avais pas réentendus, ni relus, depuis vraiment longtemps. Eh bien je me souvenais de tout. Gabrielle et Hervé jouaient, très bien, à trois cent kilomètres d’intervalle, quelques jours de distance, et leur texte me revenait – et même pour Les Papas, que j’ai écrit il y a quinze ans, que je n’ai jamais mis en scène. Même si je l’ai travaillé, quelque semaines, avec mon Marchalou, dix ans déjà mon grand.

Mais je sens que ce billet part en vrille, personne ne va rien y comprendre. Et d’autres phrases d’Une Scène me reviennent, en plus, m’en veulent, concourent.

Intestin grêle, je disais, relié à l’estomac.

Et là je pense à mon Bébert, Bertrand Combe, le plus grand Skouratov, des Justes, qu’il n’y a jamais eu – et je ne suis pas objectif, non, mais Camus, j’en suis sûr, eut été trop fier en le voyant.

J’ai fait à mon Bébert le plus beau compliment que je n’ai jamais fait à un acteur – et pourtant j’ai été gâté. J’ai travaillé – et je travaille, je travaillerai – avec de vraiment très très grands acteurs, des comédiennes inouïes, je pourrais les citer toutes et tous, et je peux être vraiment très dur, je ne suis pas très gentil dans le travail.

Dans Les Justes, Skouratov n’a qu’une scène, un acte, vingt minutes, un duel, entre lui et Yanek. Un soir où Bertrand me demandait un retour de metteur en scène sur sa prestation, mes notes – ce devait être la onzième ou douzième représentation au Chêne Noir – je crois lui avoir répondu : “Ben, c’est-à-dire, j’en sais rien, dès que tu entres en scène je vais fumer”, ou “Je vais pisser”… Pour être tout à fait sincère je ne sais plus très bien ce que j’ai dit – je crains que ce ne soit la seconde solution, plus drôle, mais je n’en suis pas très fier. Ce n’était qu’à moitié vrai, évidemment, mais ma confiance en lui était telle que je pouvais me permettre de souffler, me reposer un peu.

Je crois qu’il a compris.

Une histoire de confiance, oui, de confiance absolue – sachant que tout, dans la vie, est affaire de confiance.

Mais l’estomac, je disais, l’estomac.

Ce qui vous reste sur l’estomac, et ce qu’il en advient – pas seulement les ulcères.

C’est une drôle d’expression, non ? “Rester sur l’estomac”, “Avoir sur l’estomac”, “Garder sur l’estomac”. J’ai entendu cette expression tout à l’heure.

Le nombre de choses que mon estomac doit “garder”, “avoir sur”, me semble tout à coup abyssal. Mais c’est un mauvais sujet, je crois. Bon titre, mauvais sujet.

On ne peut jamais dire ce qu’on a “vraiment” sur l’estomac, c’est trop intime, trop dégoûtant, on garde ça caché en soi, bien dans son ventre, et puis plus tard, sans qu’on y pense, cela ressort, et cette espèce de boule vous nourrit, vous inspire, vous transcende.

Je me souviens avoir souvent répété, dans des interviews, que “le seul organe que je visais était le cœur”.

Mais la flèche partait de l’estomac.

Je vais m’arrêter là pour ce soir, allez.

Et j’aurai dit du bien de mon Bertrand.

Alors je suis heureux.

ADDENDUM/ J’ai reparlé des Justes, avant-hier, avec une journaliste vraiment très sympathique. Cela m’a fait bizarre, je n’avais pas reparlé des Justes depuis tellement longtemps. Je n’y pensais presque plus, mais il a suffi qu’elle m’en parle pour que tout resurgisse. Je n’ai pas Les Justes sur l’estomac, non, Les Justes sont dans mon cœur. Camus est dans mon cœur. Je vous raconterai un jour. Ma mère, Alger, tout ça.

PS/ Je n’ai pas encore lu le livre (voir photo) mais j’aime beaucoup Michel Onfray, même s’il peut lui arriver, comme à chacun, de dire quelques conneries – comme celle qu’avait relevée Charlotte, concernant la pièce de Castellucci au Rond-Point. J’adore cette couverture, je lirai ce livre.


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3 commentaires

  1. Charlotte dit :

    L’esprit rigoriste et pointilleux qui caractérise la journaleuse que je m’efforce de ne pas être (chiante donc, j’en conviens) m’oblige à relever une mini-coquille : Castellucci, c’était au Théâtre de la Ville. Au Rond-Point, c’est Rodrigo Garcia qui a fait scandale. Tu me diras que les intégristes n’ont pas fait la différence. Ils l’avaient sur l’estomac dans un cas comme dans l’autre. Erreur fatale. Quant à Onfray… Brrr… J’ai les nerfs en pelote rien que d’y penser.
    Je t’embrasse, ailleurs que sur l’intestin grêle.
    Charlotte

  2. malric dit :

    Juste envie de dire que je n’oublierai « les justes » que j’avais vu au Chêne noir ». C’était magnifique, ça m’a touché au coeur. Merci.

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