Man Ray

Je connais bien Man Ray, je connais bien cet homme. Pendant une longue période de ma vie, j’ai travaillé sur Lee Miller, qui a été sa compagne. Une vieille passion pour Lee Miller. J’ai une cinquantaine de pages, une moitié de pièce, qui en témoignent – j’espère que je la finirai un jour.

Beaucoup disent que la solarisation, d’ailleurs, qui a rendu Man Ray célèbre, c’est une idée de Lee Miller, idée dont elle lui laissa la paternité en partant, en cadeau de rupture.

Grande classe, ma Lee.

Man Ray était juif, son vrai nom était Emmanuel Radnitsky (ou Rudzitsky, ou Radenski, personne n’a jamais vraiment su, et il en a changé, on s’en fout). Je ne vais pas vous faire son Wikipedia, allez voir – pas sur Wikipedia, non, il y a plein de livres sur lui passionnants, c’est une homme qui a eu une vie, et une œuvre, fantastiques – même si moins fantastiques que celles de Lee Miller à mon sens.

Peintre, photographe, graphiste, dadaïste puis surréaliste, une vie comme on pouvait en avoir quand on était étranger et qu’on venait s’installer à Paris, à Montparnasse, en 1920, pour être artiste ; qu’on devenait ami avec Picabia, Picasso, Breton, Duchamp, Dali, Éluard, qu’on devenait l’amant de Kiki de Montparnasse ou bien de Lee Miller. Une vie de bohème bordélique, amorale, créative, une vie dingue, dont on a, finalement, vue la médiocrité de notre époque, beaucoup de mal à imaginer ce qu’elle fut.

Sur la tombe de Man Ray il y a une épitaphe, formidable : “Unconcerned but not indifferent” (“Détaché mais pas indifférent”).

C’est ce que j’ai cru ressentir ce matin en lisant cette nouvelle : “La tombe du photographe Man Ray vandalisée à Paris, cimetière du Montparnasse”. Il n’y avait pas de croix gammées, de tags, ou de conneries comme ça, juste quelqu’un a pété la dalle, et la photo de lui qui l’ornait.

Des coups de massue, pendant la nuit.

Il y a un mois, dans ces chroniques – même si ce ne sont plus des chroniques, dans ces espèces de textes, disons, sur cette espèce de blog, je parlais de quelqu’un qui était allé fleurir la tombe de Robert Brasillach.

Je n’ai évidemment aucune preuve, mais je suis sûr que c’est la même personne, les mêmes personnes, les mêmes teubés. On sait très bien qui sont ces gens. Et il y en a de plus en plus.

Petit, j’ai follement aimé Boris Vian, je devais avoir dix ou douze ans quand j’ai lu J’irai cracher sur vos tombes. Nous sommes bien des années plus tard et l’action de cracher sur une tombe, même si je l’imagine, même si je la comprends, me semble toujours aussi violente. Cracher sur la tombe d’un salaud, cracher sur la tombe d’une ordure, la pire personne – et je ne parle d’Hitler, qui heureusement pour lui n’a pas de tombe, quelqu’un qui vous a fait du mal, un tueur, un violeur, quelqu’un qui vous a retiré votre enfant, je peux imaginer, bien sûr, qu’on aille cracher sur ce qu’il en reste. Même si la personne est en terre. Même si évidemment c’est fini.

Mais prendre une massue et défoncer une tombe ?

Man Ray est mort depuis plus de quarante ans. Il n’a jamais, je crois, fait de mal à personne – disons pas plus qu’un autre. Ce n’était pas un salaud, ce n’était pas une ordure. Et même ?

Nous sommes en mars 2019, en France, à Paris, dans la ville où Man Ray habitait, lui le gamin de Brooklyn, qu’il a quitté il y a un siècle pour accomplir son rêve, devenir un artiste, venir en France.

Le mois dernier, on a fleuri la tombe de Robert Brasillach.

On vient de défoncer celle de Man Ray.

Désolé, Man.

Finalement non.

Pas détaché.

Pas indifférent.

ADDENDUM/ Ma Lee, “solarisée”, Man Ray (1930).


Partager sur Facebook, ou sur Twitter.

Laisser un commentaire

Résumé des épisodes précédents Liens amis Doléances RSS