Un petit point lecture


Je suis incapable de lire de la fiction quand je suis en train d’en écrire. Mon esprit s’échappe, je pense à autre chose, je passe mon temps à revenir en arrière, je ne comprends rien à l’histoire qu’on me raconte. N’importe quel petit polar m’a l’air d’être du Pierre Guyotat, je lis Oui-Oui et son grelot et on dirait du Cortazar. Il faut être concentré pour lire, et je ne le suis pas quand j’écris. Ou plutôt si, mais pas sur ça.

Comme cela fait un an et demi que j’écris sans discontinuer, cela fait un an et demi, donc, que je n’ai pas lu de roman. J’ai lu presque tout René Char, une dizaine de pièces de Racine, je me suis régalé avec le Dictionnaire amoureux du Rock, de mon Antoine de Caunes, j’ai adoré l’autoportrait de Gérard Garouste, L’Intranquille, j’ai lu le Godard d’Antoine de Baecque (presque aussi bien que le Truffaut qu’il avait commis avec Serge Toubiana), mais de roman point. Aussi ce n’est pas sans un certain plaisir que j’ai déboulé il y a trois semaines à ma Fnac, celle qui fait le coin de l’avenue des Ternes et de l’avenue Niel – je dis ma Fnac, mais nous ne sommes pas très intimes, elle est juste à cinq minutes de chez moi en scooter et j’y ai fait une rencontre/signature sympathique il y a quelques années. Mais on s’en fout.

Voici ma liste de courses :

Haruki Murakami Autoportrait de l’auteur en coureur de fond (Belfond)

Pauline Kael Chroniques européennes (Sonatines)

James Ellroy La Malédiction Hilliker (Rivages)

Joyce Maynard Et devant moi le monde (Philippe Rey)

Carlos Ruiz Zafon Marina (Bob Laffont)

John Irving Dernier hiver à Twisted River (Seuil)

Première remarque : alors, oui, je mets le nom de l’éditeur. Déjà parce que si j’étais dans cette liste ça ferait plaisir au mien ; ensuite, si vous comptez vous les procurer, on ne sait jamais, cela sera plus pratique. Il faut toujours penser au confort du lecteur. C’est le secret d’une chronique réussie. J’ai quinze ans de boutique derrière moi, ma p’tite dame, j’les connais les cocos.

Deuxième remarque : pas un seul livre français. Un japonais, un espagnol, deux américaines, deux américains. Mince. Fuck. Pas bien.

Troisième remarque : seuls deux romans dans cette liste. Deux autoportraits, un recueil de chroniques cinéma, une “histoire” de Salinger, et deux romans. En même temps, un roman de John Irving, par exemple, à lui seul c’est trois mois d’une vie. D’une vie avec la sexualité d’un participant à un jeu de télé-réalité, en plus – soit vite fait dans les toilettes. Je parle pour ceux qui lisent au lit, bien sûr, pas pour ceux qui lisent aux toilettes. Quant au roman de Carlos Ruiz Zafon, s’il est aussi exceptionnel que L’ombre du vent, on ne peut pas, de toute manière, en ouvrir un autre à sa suite.

Il n’y a pas de quatrième remarque.

Je ne sais si c’est à cause de ces chroniques, mais j’ai étrangement démarré par les deux autoportraits. Celui d’Ellroy est exemplaire, d’une franchise telle qu’il vous saisit, et son angle est formidable : il ne se raconte qu’à travers les femmes de sa vie, ne franchissant jamais aucune ligne, ne dérapant jamais, comme on aurait pu le craindre en connaissant le bonhomme. Il faut être un écrivain remarquable pour s’assumer autant dans ses moindres travers, pour n’avoir honte de rien, pour ne jamais poser, faire le beau, désirer se faire haïr ou aimer. Il y a du Bukowski chez Ellroy, et je ne l’avais pas remarqué jusque là. Pas dans le trash, le sexe, l’alcool, mais dans la lucidité, dans la singlance, dans l’acuité du regard. (oui, je sais, le mot “singlance” n’existe pas, mais j’ai quinze ans de boutique derrière moi, je fais ce que je veux)

Quant à celui de Murakami, franchement, je ne pensais pas tenir jusqu’au bout. À l’exception d’un ou deux (Kafka sur le rivage, par exemple), ses livres d’ordinaire me tombent très vite des mains. Vient toujours un moment où je me dis que ce serait quand même mieux de faire du sexe, ou de lire un John Irving. Mais celui-là, pardon, quel beau livre. L’auteur raconte sa passion pour la course à pieds, comment il en est venu à courir, comment courir le tient en vie. C’est extrêmement précis, extrêmement bien écrit. Je ne pensais pas un jour pouvoir être intéressé par un chapitre, par exemple, sur le problème des chaussures de courses neuves quand on démarre un marathon. Ça n’a rien d’un article pour autant, c’est un vrai récit, l’histoire d’un type qui court, dix kilomètres par jour, six jours par semaine, et qui écrit des livres. Je ne développerai pas outre mesure la comparaison entre la course de fond et la littérature. N’ayant jamais couru, sinon derrière des balles, je le ferai bien moins que lui. Et puis, malins comme vous êtes, vous avez tout compris.

ADDENDUM/ Non. Aujourd’hui non. Pas envie.



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5 commentaires

  1. Virginie k dit :

    Bonnes lectures. Rien de changé de ce côté là…

    • Géraldine from G+G dit :

      Moi qui adore Murakami, qu’est ce que je me suis ennuyée avec Autoportrait… au secours ! C’est moi qui avait la sensation de faire une marathon en apnée, bouh… aucun plaisir dans cette lecture.
      Le Maynard est très bien, dans le genre démystification. J’ai bien aimé le parcours de cette femme, mais sans aucune identification. Etrange.

      C’est bon de te lire.
      Baisers.

  2. Constance JOLY dit :

    Ta liste me donne envie, et j’ai d’ailleurs fait une petite descente chez mon dealer récemment, où se retrouvent quelques uns des titres que tu cites, dont le Ellroy, hallucinant, et pourtant j’avais peur de nouvelles confessions après Ma part d’ombre, livre culte pour moi.
    Une idée d’auteur français… Charles Juliet et son récit Lambeaux. Pas vraiment un jeune homme, mais l’hommage rendu par fragments à ses deux mères, la biologique et l’adoptive; l’avancée par fragments, le « tu » bouleversant, le thème de l’accession à l’écriture (douloureuse, lumineuse), l’écriture comme seul moyen de parvenir à dépasser ses peurs, pas trouvé mieux cette année… Tellement heureuse de te lire ! Constance

  3. Charlotte Lipinska dit :

    A) elle est contente de te lire la fille. Ca réjouit.
    B) impression de lire par procuration quand on n’a plus le temps. Ca soulage.
    C) stupéfaction de voir que Lambeaux a des fans. Rien que d’y penser, j’en frémis. J’y reviens régulièrement, depuis des années, par petits bouts… Constance, je ne vous connais pas mais je vous aime déjà. Ca m’émeut.

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