J’adore Dior

John Galliano est assis en terrasse. Il porte un chapeau ridicule, il fume une cigarette. Devant lui des verres vides, il est seul à sa table, ses yeux bredouillent, son corps chancelle. Il se tourne vers la table à côté, quelqu’un le filme avec un téléphone. D’une élocution bancale, celle d’un homme ivre mort, il assène en anglais : “Je déteste les gens laids. J’aime Hitler. Les gens comme vous devraient tous être morts. Vos mères, vos ancêtres, auraient dû être gazés, putain !” Une femme, en off, plutôt choquée, lui répond : “Non mais ça va pas ? Vous avez un problème ?” Et Galliano enchaîne : “Oui, avec vous. Vous êtes laide. Vous êtes une merde.”

Cette petite vidéo date d’octobre. C’est l’horrible quotidien anglais The Sun qui l’a mis sur son site. Elle ressort aujourd’hui à cause de la plainte portée ce weekend contre le couturier, qui aurait dit à une dame, entre autres insultes antisémites : “Tu es tellement moche que je ne supporte pas ta vision. Tu as des bottes bas de gamme, tu as des cuisses bas de gamme, tu n’as pas de cheveux, tes sourcils sont immondes, tu es dégueulasse, tu n’es qu’une pute !” (et j’adore “tes sourcils sont immondes” comme insulte, je la replacerai).

La mode c’est l’élégance, c’est la beauté, c’est la classe. C’est un monde hors du temps, irréel, qui fascine. Je l’ai fréquenté deux trois ans, mes dernières années de presse, quand nous créions Perso, quand je copinais avec les annonceurs. Je n’ai jamais vu un monde aussi vulgaire, des personnes aussi dégoûtantes – à l’exception de quelques-unes, évidemment, ma copine Mademoiselle Agnès, ou la belle Vanessa Seward, et forcément plein d’autres encore. Ce monde m’a toujours dégoûté, il n’a rien de touchant ni d’humain. C’est un monde fait de mépris pour le monde, de mépris pour les autres, de mépris pour les gens qui n’ont pas les moyens de fréquenter l’avenue Montaigne. Ils vivent en vase clos, se reproduisent entre eux, leur humour est cruel, et certains sont brillants, donc d’autant plus cruels. Ce sont des gens qui sourient tout le temps mais qui n’ont pas l’air très heureux. Beaucoup de drogue, beaucoup de médicaments, beaucoup de suicides dans ce milieu. “You’re lonely at the top”, puisque c’est là qu’ils se pensent être.

Je ne connais pas John Galliano, seulement son travail. C’est un alcoolique, visiblement, qui tient des propos d’alcoolique, comme j’en ai entendu toute mon adolescence dans les bars à prolos de Nanterre ou Colombes. Les mots sont les mêmes, misogynes et antisémites, seuls les vêtements différent. Ils révèlent bien ce qu’est ce monde, ce que sont vraiment ces gens riches, qui se sentent tellement supérieurs, intouchables. Cette histoire me rappelle la réaction de Bernard-Henri Levy, soit disant philosophe, quand il s’était pris une tarte à la crème dans la figure, prêt à se battre dans l’instant comme le vulgaire péquin à qui l’on vient de faire une queue de poisson, et que Desproges avait relevée à l’époque.

Selon que je me sente révolté ou tranquille, la mode m’énerve ou m’indiffère. Invariablement, pourtant, je la trouve obscène. Encore une fois, chacun fait ce qu’il veut de son argent, les riches ne sont pas tous à mettre dans le même panier, certains se soucient du monde, certains font de leur mieux pour les autres, certains ne sont pas prêts à claquer le PIB du Burundi pour une robe haute couture de chez Dior ou d’ailleurs. Les riches ne sont pas tous obscènes. La mode, elle, l’est toujours. Comme ce pauvre Galliano, qui dessine de très beaux vêtements, mais qui devrait se faire soigner.

Donc le poker c’est fait. La mode, c’est fait. Si tout va bien, le prochain hobby de droite à traiter devrait être la cocaïne. Un léger doute s’installe en moi : alors que ce blog est en train de prendre ses marques, est-ce vraiment une bonne idée de se mettre si tôt à dos ceux qui jouent au poker, qui achètent des vêtements ou qui prennent de la coke ?

L’impression que le Général Tioum va encore m’engueuler.

ADDENDUM/ Pas de rapport, mais aucun. En ce moment, à l’Atelier, il y a un comédien de théâtre exceptionnel à découvrir et qui s’appelle Romain Duris. Ce qu’il fait dans La nuit juste avant les forêts de Koltès est absolument prodigieux. C’est une leçon de comédie, donnée par un garçon qui n’avait jamais fait de théâtre, ni pris le moindre cours, si ce n’est avec Chéreau pour ce spectacle. On peut ne pas aimer la pièce ou être désarçonné par la mise en scène – ce qui n’est pas mon cas. Mais lui est à voir, se lever, applaudir.


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4 commentaires

  1. Constance JOLY dit :

    Exception notable dans la vulgarité du milieu de la mode : Yves Saint-Laurent. Malheureux, alcoolique, dépressif, mais homme d’une véritable élégance de pensée, de parole. Son sourire dit tout : un enfant émerveillé, brisé par son propre mythe.

  2. nastia dit :

    La création de mode c ‘est comme le proxénétisme, tu te prends pour un Dieu jusqu’au jour où tu lèves un peu la tête (ce qui ne t’étais jamais arrivé avant, à vrai dire!) et tu vois un gros pansu avec un cigare dans la gueule qui te fait marcher avec des ficelles sur un sol jonché de biffetons.

    Dur dur pour l’artiste, le chemin de la reconnaissance est semé d’embuche…

    Dans le fond devenir alcoolique, abjecte et méprisant dans ces conditions c’est peut-être signe de bonne santé mentale.

  3. Jen dit :

    Koltès… Chéreau… DURIS… Des Frissons… Du beau…
    Le Blog de Diatème… Et ses livres qui m’accompagnent depuis des années… J’aime vraiment tout ça…

  4. Diastéme, j’adore ce que vous écrivez, votre élégance, votre humour, votre simplicité. Votre premier film j’y ai participé; j’étaisl’agent du directeur de laphoto; PHILIPPE GUILBERT, JE CONNAIS UN PEU EMMA , UNE FILLE ÉTONNANTE also son père..Chacun de vos messages est un bonheur, Facebbook est un ramassis de prétentieux et de crétins qui nous livre le document qu’ils » ont laborieusement trouvé dans you tube et quand ils ne savent plus quoi dire, il s nous filent l’inévitable Bob. Marley. Ils pourraient nous parler de Marianne Faithfull, J ‘ en faispartie je ne sais pas pourquoi .,. Je développe des scripts, si vous aviez une comédie, entre Deauville et Cabourg, je suis prête. Tout cela fait un peu propaganda mais vous avez tellement bien décrit la situation de ce pauvre Galliano, qui n’est nullement en réhab, mais chez lui à côté de son bar préféré. d’après un ami, toute cette histoire est une conspiration de Arnault pour le virer au plus vite. la suite quand vous le voulez……. Mireille A.

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