Pas une histoire d’amour

Quelqu’un que je viens de rencontrer et que j’aime déjà beaucoup m’a donné ce conseil : ne plus écrire d’histoires d’amour. Elle n’est pas la première à me dire ça. Il n’y a pas si longtemps, à Avignon, un directeur de théâtre, que j’aime beaucoup également, m’a commandé une pièce, à la seule condition qu’elle soit “méchante”. “Pas une histoire d’amour” il m’a dit. Je n’ai pas trouvé ça étrange, je comprenais, je savais être méchant aussi.

C’est toujours drôle, la méchanceté, et les gens aiment quand c’est drôle. Ma mère m’en a parlé récemment, elle aussi essayait de me convaincre de n’écrire plus que des comédies. Elle ne va voir que ça au théâtre, au cinéma, comme tout le monde, comme “95% des gens” elle m’a dit. Nous ne connaissons pas les mêmes gens, c’est vrai, mais sur le fond elle n’a pas tort.

Moi je n’aime que les histoires d’amour, que les choses compliquées et belles, que les choses qui font battre le cœur. Le cynisme ne m’intéresse pas – mais je sais l’être, c’est assez simple, n’importe qui en est capable. Il suffit de retourner le gant, de regarder la doublure, de se moquer du tissus.

J’ai décidé, il y a quelques temps, de ne plus m’intéresser qu’à ces choses vraiment essentielles, ces choses plus importantes que tout. Et l’amour est plus important que tout. Nous ne vivons pas assez longtemps, et nous perdons tellement de temps. À regarder la télévision, à surfer sur internet, à lire la vie des autres sur Facebook, à régler ces problèmes de survie que sont l’argent, le travail, la maladie, la dépression, à ne plus jamais voir l’essentiel. Ou chercher à tirer son coup, et pardon d’être vulgaire, mais le sexe n’est pas l’amour. C’est Lacan qui disait ça – et je ne suis pas du tout lacanien, je ne suis pas très psychanalyse, mais ce qu’il dit est intéressant : le sexe ne conjoint pas, il n’y a pas de “rapport” sexuel, il n’y a que deux personnes qui prennent et se donnent du plaisir, ensemble mais séparément, et aussi agréable que cela soit. Seul l’amour nous amène au-delà de nous-mêmes, sans rien attendre en retour, sinon d’aimer “l’être de l’autre” ? Ne plus s’intéresser à soi, ne plus penser à travers soi.

Pourquoi aime-t-on quelqu’un ? Pourquoi est-on capable, à un moment de sa vie, de dire cette phrase de Tchekhov, la plus belle déclaration d’amour que l’on puisse faire je pense : “Si un jour tu as besoin de ma vie, viens et prends-là” ? Cela est quelque chose qui me fascine, qui me fascine vraiment. Faire des blagues sur La Mouette, j’en suis capable aussi, mais vraiment à quoi bon ? Toutes les histoires d’amour m’intéressent, pas seulement entre un homme et une femme – ou deux hommes, ou deux femmes, peu importe. Toutes les formes d’amour m’intéressent, et plus elles sont complexes, plus elles sont intrigantes. On cherche à en percer le mystère. Et cela peut être drôle, l’amour n’est pas que tragique, les histoires d’amour ne finissent pas toutes mal, et même quand elles finissent mal, souvent elles bougent encore, souvent elles sont comiques. On peut être ridicule par amour, risible, minable, merdeux, comique.

Mais je n’écris pas que ça, que les personnes se rassurent, j’ai commis quelques comédies récemment, quelques choses très méchantes, pas que des histoires d’amour.

Je ne crois en aucun Dieu, je crois très peu en l’homme, mais je crois à l’amour. Je crois en ce sentiment qui, pour peu qu’il nous effleure, fait de nous une meilleure personne, nous rend “plus fort que la mort”. C’est ce qui me donne foi en la vie, ce qui me tient debout, et sans être neuneu, du moins l’espère-je. Me demander de ne plus m’y intéresser est me demander d’être quelqu’un d’autre. C’est mon métier, j’en suis capable, mais sur un temps très limité. La nature revient au galop.

Tant que je vivrai, j’espère, j’écrirai des histoires d’amour. Tant que je vivrai, j’espère, j’aimerai.

ADDENDUM/ J’ai failli mettre cette phrase de La Mouette en épigraphe de mon prochain roman. Finalement j’en ai choisi une autre, tirée d’Andromaque. Je ne regrette pas ce choix.


Partager sur Facebook, ou sur Twitter.

5 commentaires

  1. Constance JOLY dit :

    « Savoir qu’on n’écrit pas pour l’autre, savoir que ces choses que je vais écrire ne me feront jamais aimer de qui j’aime, savoir que l’écriture ne compense rien, ne sublime rien, qu’elle est précisément là ou tu n’es pas – c’est le commencement de l’écriture. »

    Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux.

    Tout le monde n’est pas capable d’être « là ou tu n’es pas »…
    autrement dit d’écrire. Et de façon juste.
    Alors surtout, cultive ce don. Le reste est littérature…
    Amicalement,
    Constance

  2. Christine dit :

    L’amour, colonne vertébrale de ma vie… comme valeur, comme éthique, comme énergie, comme objectif que l’on poursuit et qui s’éloigne comme un mirage au fur et à mesure que l’on s’en approche..
    Et puis l’Autre arrive et Bobin nous dit qu’  » Aimer, c’est prendre soin de la solitude de l’autre sans prétendre la combler « .. et là, tout commence !

    A bientôt sur notre belle planète d’Amour !

    Christine

  3. ,A propos d’amour ,. sur ma table de chevet; ALBERTINE DISPARUE, obsessionnel comment Proust démonte sans aboutir tout le mécanisme féroce de l’amour, de l’amour, précisément, Stendhal nous propose à La Carte.l les différentes forme d’amour. au cinéma Xavier Dolan souffre irrémédiablement. et bien sur le celui qui a la première place Les FRAGMENTS de notre ami, Roland Barthes. Quelques lignes pour nous remettre dans « le bain » ATTENTE 5 : « suis-je amoureux ? OUi, puisque j’attends » L’autre lui n’attends jamais. je veux jouer à celui qui n’attend pas,j’essaye de m’occuper ailleurs àailleurs,d’arriver en retard;mais à ce jeu,je perdstoujours . L,identité fatale de l’amoureux n’est rien d’autre que : Je suis celui qui attends.

  4. ,A propos d’amour ,. sur ma table de chevet; ALBERTINE DISPARUE, obsessionnel comment Proust démonte sans aboutir tout le mécanisme féroce de l’amour, de l’amour, précisément, Stendhal nous propose à La Carte.l les différentes forme d’amour. au cinéma Xavier Dolan souffre irrémédiablement. et bien sur le celui qui a la première place Les FRAGMENTS de notre ami, Roland Barthes. Quelques lignes pour nous remettre dans « le bain » ATTENTE 5 : « suis-je amoureux ? OUi, puisque j’attends » L’autre lui n’attends jamais. je veux jouer à celui qui n’attend pas,j’essaye de m’occuper ailleurs àailleurs,d’arriver en retard;mais à ce jeu,je perdstoujours . L,identité fatale de l’amoureux n’est rien d’autre que : Je suis celui qui attends. Voilà, Diastème, je vous lis avec beaucoup d’attention et je ne désespère pas.Mireille.

  5. laura dit :

    « je crois en l’amour »… C’est tellement rare d’entendre ou de lire ce genre de réflexion aujourd’hui. Moi aussi je crois en l’amour, c’est la plus belle chose au monde et la plus importante. Battons nous, résistons pour que cette idée perdure … Continuez à écrire des histoires d’amour.

Laisser un commentaire

Résumé des épisodes précédents Liens amis Doléances RSS