Le Bruit des gens z’autour

Il faut que je vous raconte ça, je ne devrais sans doute pas mais je m’en fous. Si l’on ne peut pas tout raconter dans un journal je ne vois pas l’intérêt d’en tenir un. Déjà que je me censure beaucoup en ce qui concerne les choses intimes. Et là ce n’est pas intime, puisque c’était public, filmé, enregistré, photographié, officiel.

Pour la première fois de ma vie, je suis allé au Ministère de la Culture. Normalement je ne fais pas ces choses-là, je ne vais pas dans ces endroits, je ne vais pas dans ces raouts. Il y a longtemps on m’invitait, maintenant on ne m’invite même plus, on sait que je ne viendrai pas.

Mais là c’était différent, là c’était pour Duchesse.

Je ne connaissais pas Linh-Dan Pham quand je lui ai proposé de jouer dans “Le Bruit des gens autour”, je connaissais seulement l’actrice, ce qu’elle avait fait dans “Indochine”, dans “De battre mon cœur s’est arrêté”, je lui ai proposé de jouer la spectatrice dans mon film. Nous avons tourné ce film, puis, dans la foulée, j’ai monté “Les Justes” au théâtre, et je lui ai proposé de venir jouer la Grande Duchesse. N’importe quelle comédienne connue, comme elle, avec un César, comme elle, aurait refusé – c’est un rôle essentiel, mais il n’est présent que dans un acte, pas plus de vingt minutes dans une pièce d’une heure trente ou deux heures. Elle, elle n’a pas refusé, elle a dit oui, au tarif syndical ou presque, deux mois de répétitions, trente représentations, pas de relâche.

Pour vraiment connaître quelqu’un il faut faire Avignon avec lui, ou avec elle. Un tournage c’est confort, il y a des plages de repos, nous ne sommes pas les uns sur les autres, il n’y a pas de pression, pas de presse, pas de public. Pour que cela se passe mal il faut y mettre du sien. Le théâtre c’est différent, Avignon c’est différent. Même au Chêne Noir, même dans le In, même dans des conditions luxueuses. Mais je crois avoir réalisé un film sur le sujet, donc je ne vais pas radoter non plus.

Tout ça pour dire que Linh-Dan Pham est devenue mon amie, ma pote, et quand une pote vous demande de venir à sa remise de décoration vous venez. Chevalier des Arts et des Lettres, ça s’appelle. Vous pouffez, évidemment, vous vous moquez, mais vous venez.

Je ne vais pas vous refaire le coup du CUT SUR/ mais j’arrive, dans la salle, avec Jeanne et Damien. Il y a des caméras, plein de personnes, Frédéric Mitterrand remet quatre décorations ce jour-là, à Linh-Dan, Elsa Zylberstein, Lambert Wilson et Yun Junghee, cette actrice coréenne, vedette de “Poetry”, film que j’ai acheté en DVD il y a des mois et que je n’ai toujours pas vu.

Le hasard fait les choses bizarrement, j’ai bien connu Elsa, il y a longtemps, je l’aime beaucoup, j’aperçois Antoine dans un coin, plus une autre de ses amies, avec qui j’ai travaillé dans la presse, il y a encore plus longtemps. Je suis étonné et surpris de les voir, je sais qu’ensuite nous boirons un verre ensemble, une coupe subventionnée, mais déjà les discours débutent, le ministre de la Culture prend le micro.

Il parle bien, ce qu’il dit est plutôt fin, intéressant, sur chacun. Quand arrive le tour de Linh-Dan, il énonce son discours, bien écrit, rien à dire. Puis il me cite, dans la liste des réalisateurs avec lesquels Linh-Dan a travaillé, puis il dit le nom de mon film : Le Bruit des gens z’autour. Il fait la liaison, et c’est la première fois que j’entends cette liaison, vraiment vilaine, incongrue, alors que j’ai entendu ce titre des milliers de fois. Il continue, c’est très bien, mais moi je repense à cette liaison, et une espèce de fou-rire me monte, que je tente de contenir, vraiment difficile à contenir, je n’écoute plus, j’essaie juste de ne pas rire.

Je n’ai pas de chute à ce papier, je ne vais pas vous raconter la suite, cette soirée délicieuse, dans cette incroyable maison troglodyte d’Issy-les-Moulineaux, ni les conversations avec les vieux amis, à la fin des discours. Je ne vais pas me moquer plus avant des ors de la République, ou du ministre de la Culture, qui a, ce soir-là, très bien fait son travail – même si, quand il disait “au nom du Président de la République” c’était quand même un peu bizarre. J’ai trouvé Lambert Wilson définitivement très classe, je vais regarder “Poetry” au plus vite, je continue d’aimer Elsa… Ah, si, j’ai fait une petite chose rigolote, dans cette maison troglodyte, j’ai pris la décoration – une vraie médaille, en fait – et je l’ai accrochée à la robe de Duchesse, essayant un instant de percevoir ce que pouvait ressentir un ministre lorsqu’il accomplissait cet acte. Je n’ai rien ressenti du tout, j’ai juste mal épinglé la médaille. Cinq ou dix minutes après, elle la perdait en marchant.

ADDENDUM/ Pas ce soir.


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1 commentaire

  1. karine dit :

    très beau Poetry… actrice formidable
    bises
    k

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