Du style

C’est très étrange, le style, non ? Moi je vois ça comme une femme. Pourquoi celle-ci et pas cette autre ? Il y a le physique, bien sûr, le potentiel de séduction, mais à physique égal, à séduction égale, pourquoi être fou de l’une, pourquoi ne pas être fou de l’autre? Pourquoi Modiano, qui écrit formidablement bien, ne me touche absolument pas, pourquoi Albert Cohen m’émeut aux larmes ? C’est comme pour la musique, les femmes et la musique. Pourquoi cet air me bouleverse ? Pourquoi cet autre ne me fait rien ?

À une époque où l’on me demandait des conseils d’écriture, et où ça me flattait d’en donner, je disais ceci : écrire c’est faire de la musique, les lettres sont les notes, les mots forment la mélodie, la ponctuation crée le rythme. Je crois cela encore vrai, mais quel conseil idiot à donner, car on a ou on n’a pas le sens du rythme, on nait ou on ne nait pas mélodiste. Ça ne s’apprend pas, c’est inné, c’est injuste. Comme pour les comédiens. Tout le monde veut être comédien, tout le monde ne peut pas l’être. J’en vois tellement, qui n’y arriveront jamais, et pas parce qu’ils sont mauvais, simplement parce qu’on ne les voit pas, qu’on s’en fout, qu’ils n’impriment pas l’image, qu’ils n’impriment pas la scène, que leur visage, leur corps, leur voix, aussi agréables soient-ils, n’ont rien de remarquables. C’est une injustice atroce, unique, c’est l’horrible loi du métier, métier que je ne pourrais pas faire, même si le mien est aussi féroce.

On me donne beaucoup de textes à lire – et comme je suis gentil garçon, du moins quand on m’en laisse le temps, je les parcours, ou je les lis. Il me faut généralement moins de dix lignes pour savoir si j’ai affaire à un écrivain – dramaturge, romancier, scénariste. Selon mes goûts, évidemment, selon mes propres critères, qui ne sont liés qu’au style. Et je n’oublie pas que je n’aime rien, que 80% de la production française actuelle, en matière de roman, de théâtre ou de film, m’indiffère, m’horripile, me laisse exsangue de nullité.

Etre nul n’est pas forcément un défaut. On peut très bien réussir en étant nul. Les plus brillants ne sont pas les plus reconnus. Un de plus grands auteurs français vivants, par exemple, s’appelle Antoine Volodine (lisez “Des Anges mineurs”, vous comprendrez). Et ce n’est pas lui faire offense que de dire que son nom est malheureusement moins connu que d’autres – et je ne ferai pas la liste, chacun mettra celui qu’il veut. En matière de comédie c’est égal, en matière de comédiens surtout. Les nuls abondent, travaillent, font la une de tous les journaux, de tous les sites, vous ne voyez qu’eux. (Vous avez remarqué, à ce sujet, que dans les trois-quarts des journaux et des sites le nom de cette rubrique a changé ? Avant on disait “Culture”, maintenant on dit “People”)

Cela fait plus de vingt ans que l’on me parle de mon style. Et pour tout vous dire cela me saoule. Je travaille beaucoup pour ne pas toujours écrire de la même manière, je fais des efforts, je m’y acharne. Je suis très très fier, par exemple, de certaines pages, dans certaines pièces, dans certains livres, dont vraiment très peu de gens m’ont parlé. Le prochain livre, les prochaines pièces, vous verrez, j’ai beaucoup travaillé, travaillé sur le style. Mais là, il suffit que je me remette à écrire des chroniques pour que cela revienne, les commentaires gentils : “On est contents de te retrouver, de retrouver ton style.” Je ne vais pas me plaindre, bien sûr. Je suis touché.

Est-ce que mon style a évolué en huit ans ? Personnellement je le crois, mais visiblement non. Ou personne ne le remarque. Ou ça ne concerne que moi. Je crois que la troisième solution est la bonne. Je crois que le style n’intéresse que les écrivains, et finalement tant mieux. Je me fous de savoir pourquoi le pain de mon boulanger est meilleur que celui du boulanger voisin, je veux juste que son pain soit bon. Et nous ne sommes que des artisans, et le début de cette phrase m’effraie, il faut vite que je passe à une autre.

Je pars quelques jours en province, pour monter un spectacle unique, spécial, un spectacle surprise qui ne se jouera qu’une fois, et dont je ne peux parler. Je reviendrai sur le style plus tard, à mon retour. L’impression de n’en n’avoir rien dit. D’être passé à côté de mon sujet.

ADDENDUM/ Trois jours ont passé, nous sommes le dimanche 10 avril au soir. Je rentre de Rennes à l’instant. Moment magique. Merci à Ludivine, Kéthévane, Alice, Valentine, Clodine, Gwen, merci à Alex, Louis, Gaël, Julien, Alban, Sébastien. Merci et bravo à vous tous, camarades. Et encore bon anniversaire, Christophe.


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6 commentaires

  1. Marie dit :

    « Avant on disait “Culture”, maintenant on dit “People” » j’adore!

    Je ne sais pas si ce sont là de vraies interrogations que vous posez, mais je me permet quelques réflexions :
    On ne peut pas demander aux gens de ne plus vous parler de votre style, parce que c’est effectivement ce qu’il y a de plus remarquable dans votre écriture. Ils y trouvent le ton qui évoque quelque chose de précis en eux, il serait alors cruel de les priver de vous en parler…
    Supporter les éloges concernant votre style est donc votre fardeau, qui va de paire avec le don inné que vous possédez.
    Je précise que je ne dis pas ça ironiquement, et si je précise c’est parce que dans ma tête c’est super clair mais je sais qu’à l’écrit ça peut sembler ambigu.

    De la même manière, il vous sera impossible de vous mettre en dehors de la portée de vos lecteurs en prenant un style éthéré par exemple, ou tout simplement en ne leur permettant plus de vous donner leurs avis : ce ne serait plus vous.

    Le style Diastème donne une impression de proximité, comme si l’écrivain était là devant nous en train de nous raconter ses petites anecdotes et tout ce qu’il y a trouvé de formidable… si on enlève cette dimension là ce n’est plus « du Diastème », et à ce moment là autant lire quelqu’un d’autre.

    En bref ce que j’essaie de dire c’est que si les autres ne voient pas l’évolution de votre travail c’est parfait, ça signifie combien vous êtes cohérent comme auteur et c’est ce qui fait que votre lectorat est si fidèle depuis toutes ces années.

    Sur ce je vous souhaite une très bonne continuation!

  2. Constance JOLY dit :

    C’est une grande question, et je crois qu’on ne peut pas vraiment la trancher.

    « Le bon style pour moi », selon le regretté Sydney Lumet, « est celui qui ne se voit pas ». Je pense qu’il est l’un des réalisateurs les plus doués, et qu’il préférait s’effacer devant ses comédiens et les enjeux de ses histoires. C’est un cinéaste humaniste, ce qui l’intéresse c’est la circulation de son histoire portée par les acteurs. Moi j’ai tendance à aimer ça. Il y a des metteurs en scène de théâtre ou des arbitres de match de foot qui préfèrent laisser la pièce ou le match se faire avec les acteurs et intervenir le moins possible, de la façon la moins voyante possible. Du coup, l’histoire arrive avec plus de force. l’absence apparente de style imprime un style en creux.

    A l’inverse, j’adore Fellini, Michael Powell, Hitchcock pour en citer quelques uns… qui ont chacun des univers visuels très identifiables et signent leurs films avec plus de présence. Les mouvements de caméra, la recherche de couleurs, le rythme des plans…

    J’aurais adoré voir « La mort aux trousses » réalisé par Sydney Lumet. Quel genre de film ça aurait été ?

    Et comme je ne sais pas conclure là-dessus, je laisse la place à Léo Ferré, ce qui achèvera sans doute de semer la confusion dans ce commentaire :

    « Ton style c’est ton cul c’est ton cul c’est ton cul
    Ton style c’est ma loi quand tu t’y plies salope !
    C’est mon sang à ta plaie c’est ton feu à mes clopes
    C’est l’amour à genoux et qui n’en finit plus
    Ton style c’est ton cul c’est ton cul c’est ton cul »

    Je t’embrasse
    Constance

  3. Constance JOLY dit :

    Quand à toi, ne change rien… merci d’avance !
    Rares sont les auteurs français pour moi, dont le style, ou son absence, me touchent…

  4. Michaèle dit :

    That « style » thing….

    Le Style. C’est ainsi que l’on nomme cette manière particulière d’organiser le monde. Cet interstice minuscule entre les mots, les événements d’où émergent parfois les antennes d’un cafard, d’un chagrin. Le chagrin, c’est ainsi que l’on appelle (on?) les petites peaux près de l’ongle, qu’on arrache d’un coup de dent joyeux.

    Un bonhomme vert, une petite fille attendant trop sagement de traverser, un sachet de chouquettes à la main. Et, subitement, ce chagrin impromptu aux coins des yeux. Comme à chaque fois que les enfants deviennent dociles et mous.

    Changer de style, pourquoi pas. Il faudrait alors changer l’ordre des choses. Qu’il y ait « autre chose »que des chouquettes, dans un sachet, qui ne serait PAS tenu par une petite fille. Cesser de mentir avec naturel, de mentir comme on respire.
    Faudrait être sacrément béni (Barouh) des Dieux.
    Vous avez bien fait de ne pas arrêter de fumer, ça coupe l’inspiration. Littéralement.

  5. Spinaltab dit :

    Je crois que quand les gens parlent de ton/votre style, ils parlent d’une « voix » particulière, qui je pense est présente chez un individu assez tôt, et qui est une façon de voir et ressentir le monde, un filtre particulier. Après, la façon dont il s’exprime peut évoluer avec le temps, c’est normal et c’est plutôt vital, mais j’ai tendance à penser que ce qu’on appelle souvent « le regard » ne change pas tellement, lui. Sauf si en chemin certains événements ou rencontres modifient la trajectoire. D’ailleurs, la métaphore est un peu con, mais sur les photos de soi, de tout petit à aujourd’hui, qu’est-ce qui reste le plus reconnaissable si ce n’est le regard, justement ? Enfin c’est un peu simpliste comme commentaire mais c’est comme ça que je le… euh… vois.

  6. Carine dit :

    1 an et 4 mois pile poil après cet écrit, j’ai pensé que qu’on pouvait le lire avec la critique de Fille/Mère , http://www.franceculture.fr/blog-les-trois-coups-2012-07-25-%C2%AB-fille-mere-%C2%BB-de-diasteme-critique-de-vincent%C2%A0cambier-off%C2%A0d%E2%80%99avignon

    « Je voudrais dire avec d’autres vocables la douleur, les larmes versées, le plaisir, la jouissance, banderillés en nous par cette pièce du torero Diastème. J’insiste sur ce mot, car je pense que cet auteur a percé le mystère infini de ce qu’est, selon moi, une écriture théâtrale. C’est‑à‑dire des situations, des personnages, des dialogues. Des gens, quoi. Peints et musiqués par un écrivain d’ici et maintenant, qui remue les mains dans la mélasse humaine. Qui forge des êtres qui se renvoient la balle du verbe, dans une langue d’aujourd’hui. Des personnes qui se parlent, s’engueulent, se déchirent, se déchiquètent. S’apprivoisent parfois. Se caressent sûrement. S’aiment peut‑être.

    Mais, pour que ça irrigue le public, que ça le ruisselle, que ça l’enfleuve, que les digues lâchent, il faut de beaux et bons passeurs. Et ici, nous sommes sur les hauteurs. Andréa Brusque, au bord de la rupture, interprète avec sauvagerie et tendresse la Fille, soûle de l’irréparable, boule rouge de culpabilité. Évelyne Bouix, la grande, compose avec justesse la Mère perdue, au cœur de femme esseulé, qui essuie de son visage joli les traces de sa tristesse lasse à coups de cognac. Prête pour un nouveau sourire. Jean‑Jacques Vanier, lui, fignole à l’artisanale un rôle apparemment figé dans les habits d’un psychanalyste roumain. Il le décoince à petits pas, à petits gestes, à petites touches d’âme, et le rend drôlement captivant par sa sobriété même.

    En tout cas, je prétends que Diastème invente le lexique dramatique de notre temps. Celui qui vise notre cœur avec un pistolet poétique, qui nous touche au plus profond. Nous émeut aux larmes et aux rires. Pour longtemps. Comme une musique entêtante. ¶

    Vincent Cambier

    Les Trois Coups »

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