Imprimez la légende

Tous les journaux dans lesquels j’ai écrit sont morts. Ceux qui existaient avant moi, ceux dont j’ai participé à la création. 7 à Paris, L’Autre Journal, 20 ans, Perso, Infos du Monde, et même Première. Première existe toujours, bien sûr, j’ai quelques amis qui y travaillent encore, mais notre Première à nous est mort.

Il y a deux ans, une jeune femme a demandé à me rencontrer. Elle préparait un livre sur 20 ans, et voulait m’interviewer pour que je lui raconte l’histoire. Elle est venue chez moi, je lui ai raconté. La semaine dernière, elle m’a envoyé le livre : “Je hais les jeunes filles”, aux Éditions Rue Fromentin. Je l’ai parcouru, c’est un très bon livre, très intelligemment fait, avec plein de témoignages, plein d’articles, dont certains des miens, qu’il fut assez étrange de relire.

Si ce livre est bien fait c’est qu’il n’est pas une simple compilation, il nous fait comprendre comment et pourquoi cette presse que j’ai connue n’existera plus à nouveau. Les titres cités plus haut, auxquels on peut ajouter Actuel, ou Zurban, en sont les meilleurs exemples. La liberté que nous avions, la liberté de penser et d’écrire ce que nous voulions, de nous moquer des annonceurs, des vedettes, des puissants – de nos financiers par exemple, a fini par sembler dangereuse au vu des centaines de milliers de lecteurs que nous avions, et des belles publicités pour les beaux produits cosmétiques qui entouraient nos pages. Nous étions dangereux, oui, car incontrôlables.

On nous a virés, plusieurs fois, puis réengagés, plusieurs fois, puis ça ne m’a plus amusé.

J’ai continué d’écrire quelques temps pour 20 ans, de mon mieux, mais sans jamais aller à la rédaction. On m’envoyait mon courrier par coursier, j’envoyais mes papiers par fax. Je faisais autre chose, du théâtre, du cinéma, des romans. Une ou deux fois par an je déjeunais avec Isabelle, Isabelle Chazot, la rédactrice en chef du journal, mon amie. Quand le journal a été revendu et que les puissants repreneurs ont viré mon amie, car c’est comme ça que ça s’est passé, je me suis viré avec elle. Ce n’était pas possible pour moi de travailler avec ses remplaçants, d’écrire dans ce journal sans elle – je suis plutôt quelqu’un de fidèle. Dans le livre, cela semble s’être passé sans heurts, dans les faits ça n’a pas été le cas. Je me souviens avoir pris un avocat, être allé aux Prud’hommes, puis mon avocat a trouvé un accord avec les repreneurs, qui ne voulaient pas que je fasse de bruit. Je n’en ai pas fait, j’ai laissé faire, et l’histoire s’est arrêtée là. À ce détail que six mois plus tard le journal était mort, avait perdu tous ses lecteurs.

Mais peut-être n’ai-je jamais raconté cette histoire. C’était il y a tellement longtemps, et cela a si peu d’intérêt. “Quand la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende”. C’est une réplique que j’aime beaucoup, dite à la fin de L’homme qui tua Liberty Valance, film dont j’ai l’affiche dans ma chambre. Je partage cette idée. Que les belles choses doivent finir en beauté, plutôt que minablement, comme c’est très souvent le cas.

Contrairement à ce qu’on me dit souvent, 20 ans n’est pas mort lorsque je suis parti, 20 ans est mort lorsqu’Isabelle est partie, elle et ceux qui l’ont suivie. Un journal c’est une équipe, et c’était Isabelle Chazot la patronne, c’est elle qu’il ne fallait pas faire partir. Comme il ne fallait pas virer Alain Kruger de 7 à Paris, il ne fallait pas nous laisser partir. Les grands rédacteurs en chef il y en a très très peu, c’est une denrée très rare, il faut les chérir, les flatter, se mettre à genoux pour les retenir. Mais les financiers ne se mettent jamais à genoux, ils sont trop fiers, ils sont trop cons, ils ne savent pas ce qu’ils vont perdre, ils virent d’un claquement de doigt, puis pleurent leur mère six mois plus tard, quand le journal qu’ils viennent d’acheter ne vaut plus rien.

Je me souviens d’une phrase de Stéphane de Rosnay, avec qui nous avons créé Infos du Monde : “Un journal en moins, c’est de la liberté de la presse en plus.” Une phrase qui m’a toujours fait rire.

ADDENDUM/ Il y a un magazine que j’aime énormément, il est très beau et très intelligent, il parle de chanson française, il s’appelle Serge. C’est un peu grâce à lui, et à son rédacteur en chef, le grand Didier Varrod, que je me suis remis à écrire des chroniques, à créer ce blog. Je le remercie ici, publiquement, et je l’embrasse. Allez acheter son journal, vous m’en direz des nouvelles.

PS/ J’ai piqué cette illustration au blog de Géraldine Dormoy, de L’Express Styles, “Café Mode”, qui a consacré un excellent papier au livre. J’espère qu’elle me pardonnera.


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10 commentaires

  1. renez dit :

    Bonjour Diastème,

    je lisais 20 ans quand tu y étais encore, je lisais Première quand tu y étais encore, tous ces journaux me manquent même si Première existe encore…quel gâchis!

    J’ai aujourd’hui 32 ans et ces journaux me manquent, 20 ans était le seul mag féminin qui me prenait pour ce que j’étais: un fille normale, ni une bombe atomique seulement préoccupée par sa petite personne qui passe son temps à acheter du maquillage à 100€ ( enfin 600 francs à l’époque!) ni une laidron incapable d’avoir une vie sociale qui devait lire les magazines pour savoir comment réagir, parler pour rentrer dans des codes sociétales bien déterminés et dictatoriaux.
    J’aimais les articles de Mael le Déliou et Laurent Bon et bien sûr les tiens Diastème que je dévorais en salle d’étude au lycée…Personne ne niera qu’ Isabelle Chazot a su donner à 20 ans un ton en marge de l’offre de la presse féminine de l’époque et ça faisait du bien!!

    Quant à Première, avec Canal +, je lui doit en grande partie ma culture cinéma, grâce à lui j’ai découvert John Waters ( la claque!), Rocky horror picture show, Kubrick et…Woody et tout ça à 16 ans! maintenant je peux raconter l’anecdote de la scène culte d’Indiana Jones dans l’arche perdu ( celle du combat) et pourquoi on ne voit jamais le requin dans « les dents de la mer » ça fait toujours bien dans les soirées! pour tout ça MERCI!

    Ces magazines me manquent tout simplement et toi aussi.

    Bien à toi.

    Nathalie

  2. patricia dit :

    Exactement comme Nathalie.
    Abonnée à 20ANS et Première.
    Il y a comme un manque, voire un énorme vide.
    La verve, l’humour,le cynisme, la culture.
    Contente quand même d’avoir connu « tout ça ».

    Merci 🙂

  3. angelica dit :

    J’ai encore, découpé et rangé soigneusement, ton dernier papier dans 20 ans. Quelle nostalgie !
    Moi je n’avais même pas encore 20 ans, et j’achetais ce magazine uniquement pour y lire ta chronique. C’est ce jour là où j’ai repris chacun de mes magazines pour y découper tes papiers, les ranger bien à l’abris dans une boite, comme des lettres d’amour, et puis j’ai jeter le reste comme pour me venger d’eux. Quelques mois après 20 ans n’était même plus en presse, et je me rappelle avoir guetter ton retour triomphant… jusqu’à aujourd’hui, il était temps ! 😉

  4. ... dit :

    « 20 ans »… Moi je trouvais ce journal vraiment con et visuellement la mise en page, c’était tellement surchargé… Ça foutait la barre au crâne et la gerbe.
    On aurait dit une poubelle qu’on renversait à chaque page tellement y’avait des photos partout.

    Je l’achetais contrainte et forcée, parce que à l’époque y’avait rien d’autre à se mettre sous la dent pour les filles de mon âge.
    « Girls  » était devenu naze (voir avait disparu ?) et « Ok » c’était plus pour moi.

    Puis dans le train lire « 20 ans » ça faisait genre « je suis plus vierge ».

    En réalité, la rubrique de Diastème, j’y comprenais rien, je la trouvais superficielle et creuse.

    Je me demandais ce qu’il foutait dans ce journal.

    Je me suis souvent dit que c’était parce que j’étais trop jeune que je comprenais pas ?

    Et le pire c’était « Le courrier du coeur », je trouvais ça vraiment cynique de se foutre de la gueule des filles qui potentiellement souffraient. Ou de répondre de façon si légère et à coté. C’était frustrant et chiant.

    Et c’était aussi se moquer quelque part de tout ce qui faisait la substance, la richesse de l’univers féminin populaire. Et toute sa solidarité etc.
    Le genre de second degré que je comprends mais qui m’intéresse pas du tout, trop facile. Carrément vain. Y’a plusieurs qualités de cynismes.

    Perso, je comprends pourquoi « 20 ans » n’a plus aucune raison d’exister, et j’ai zéro nostalgie : on s’en fout de cette presse maintenant, avec internet, on est enfin libre. Et pas seulement le pigiste… Le lecteur aussi !
    C’est ça la vrai révolution.

    Par contre, je dois dire que j’ai ADORE « Info du monde ». Je me souviens parfaitement du bébé vampire qu’on avait retrouvé dans une grotte avec la photo en première page où il était accroché à l’envers sur son stalactite.

    J’avais trouvé ça incroyable d’autant qu’au début en achetant le journal dans une gare vraiment j’y avais cru ! Quel pied.

    Et j’ai acheté cette feuille pendant des mois régulièrement. J’étais accro, je trouvais ça jouissif. Trop déçue que ça disparaisse.

    Le top des articles c’était ce mec en dernière page – l’homme tronc – qui avait juste un pied, un tronc et une tête.. Peut-être une main ? Je sais plus et qui disait « J’adore ma vie, j’ai pleins d’amis et il m’emmènent en boite le samedi ».

    Ou « l’homme carte de crédit » tellement maigre qu’il pouvait passer sous les portes. Et aussi cette gamine éduquée par un chien berger allemand, je sais plus pourquoi ça m’avait marqué, je crois qu’elle. Je sais plus.

    J’adorais les témoignages de ces gens, ça faisait vraiment vibrer.

  5. ... dit :

    ps : oui l’homme tronc avait une main je crois et il levait même le pouce avec un grand sourire genre heureux de vivre lol. J’ai adoré.

  6. […] en tout cas ce que semble dire Diastème sur son blog. Idole des lectrices, cet anonyme a répondu aux courriers envoyés à la rédaction pendant des […]

  7. LaFéeDuLac dit :

    Ohlala ! 20ans je me souviens… Y’avait Jeune et Jolie et 20ans, je les achetais tous les mois. Au début, 20ans j’avais du mal, je pensais être trop jeune… Puis j’ai accroché et lâché J&J. Et puis… j’ai encore grandi sans doute, et un jour j’ai su que 20ans n’était plus.
    Bien sûr qu’il y a internet aujourd’hui, mais dur de trouver l’équivalent d’un magazine sur le net, tout est tellement compartimenté : il y a les sites/blogs beauté d’un côté, la mode de l’autre, mais il manque quelque chose…

  8. ... dit :

    Ta jeunesse sûrement.

  9. Bonjour je me présente je suis Amber (et Josiane), j’élève des caniches géants de préférence de couleur abricot dans un petit village du Morbihan. Ou pas. Je vais faire court, car je suis pas dans le style à déposer des chrysanthèmes la larme à l’oeil, le coeur serré par la nostalgie, sur les vestiges du passé (cf en l’occurence là le magazine 20ANS), et je suis au moins optimiste comme un télétubbie pour ne pas y avoir vu la mort de la presse débridée et audacieuse, j’espère avoir raison (saloperie d’optimisime). Ton blog est une agréable découverte pour quelqu’un qui comme moi a toujours appuyé tes bouquins (que j’ai certes lu en dilettante), du coup d’une pierre deux coups je t’ai fait une ovation à toi+20ANS sur mon blog qui cause de les livres. Bien à toi,

  10. kamtcha dit :

    Oh, très cher Diastème, si tu savais à quel point tes articles manquent aujourd’hui… Sérieusement…

    Il faut dire que, lorsque j’étais un peu plus jeune et moins tracassée par les soucis quotidiens, je me délectais de tes réponses si décalées et pourtant, parfois si perspicaces… je regrette de ne pas avoir garder ses vieux magazines en souvenirs du bon vieux temps où la presse et les magazines n’étaient pas qu’un ramassis de (ok, c’est à mon tour de m’auto-censuré en ne finissant pas ma phrase)

    Bref, aujourd’hui, les magazines ne parlent que de célébrités et de potins superflus… je ne vois pas l’intérêt de mettre le moindre centimes dans quelques pages dépourvus de toute intelligence et surtout de tout sens de l’humour… et malheureusement, à mon plus grand regret, le magazine 20 ans ne nous suivra pas et ne passera pas le cap des 30 ans avec nous… dommage, j’aurais tant aimé qu’un jour, je puisse acheter gaiement un « 30 ans » chez mon marchand de journaux…

    Quoi qu’il en soit, merci à l’equipe de 20 ans et à toi Diastème pour ses moments de détentes que vous nous offriez (surtout aux bords des piscines, en été, entre amies)… merci pour tout 😉

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