Laurent Gerra

Est-ce que ce qui vous fait rire n’est pas aussi intime, inexplicable, indicible, que ce qui vous fait bander, ce qui vous excite ? Je ne pensais pas à DSK en écrivant ça (mais quel con !), pas plus à Laurent Gerra d’ailleurs (mais quel…), c’était juste pour le titre, pour faire une blague à quelqu’un que j’aime.

Laurent Gerra ne me fait pas rire, mais il fait rire ma mère. Les femmes de chambre ne m’excitent pas, je ne sais pas si elles excitent mon père (je lui demanderai, ou pas – plutôt pas).

Il n’y a pas que la musique, la littérature, le cinéma, la peinture, il y a aussi le rire. Si quelqu’un me dit qu’il aime Albert Cohen, Rickie Lee Jones, Edward Hopper et Aki Kaurismaki, il ne me viendra pas forcément l’idée de partir en weekend à Trouville avec lui ou elle dans la seconde, mais je me sentirai troublé – cela m’est arrivé, déjà, je me suis senti troublé. Mais si, en plus, il ou elle me parle des Monty Python, de Will Ferrell, de Desproges, de Manhattan, du Divorce de Patrick (oui, je suis d’accord, le garçon est indéfendable, mais c’est un des spectacles les plus drôles que j’ai vu), je réserverai quand même les billets.

Dans le travail d’essayer de faire rire (pas quand j’écris, quand j’écris je m’en fous, je suis seul, si moi cela m’amuse c’est très largement suffisant – quand je mets en scène, plutôt), on vous pose très souvent cette question : “Pourquoi c’est drôle ?” Et là vous ne pouvez pas répondre. C’est impossible, il n’y a pas de mots. Pas de psychologie pour aider, pas de cohérence du personnage.

Je me souviens, il y a très longtemps, d’une discussion avec mon Fred, pendant les répétitions de La Nuit du thermomètre. Je lui demandais d’attendre deux secondes avant de dire la fin de sa réplique. De dire le début, d’attendre deux secondes, et puis de dire la fin. Aussi brillant comédien soit-il, Fred ne comprenait pas pourquoi. Et moi non plus, je ne comprenais pas pourquoi, je savais juste que c’était plus drôle s’il attendait ces deux secondes, je le sentais. Nous avons pris une espèce de pari, lui et moi, le genre : “Si les gens ne rient pas sur cette réplique au soir de la première, je te jure ce sera pour moi, je te paie une bière”.

Le soir de la première, il a bien compté ses deux secondes, et puis les gens ont ri. Et moi, dans la salle, j’étais l’homme le plus fier du monde.

Il a payé sa bière.

En tout nous avons fait quatre pièces, un long film, un petit film, et même un clip ensemble. Et la liste est en cours.

Je parle d’un bon souvenir, évidemment, je me fais mousser, mais je pourrais vous en raconter d’autres, les fois où ça n’a pas marché. Les fois où c’est moi qui ai payé ma bière.

Il y a ça avec le théâtre, d’improbable, d’insoluble, ce n’est jamais deux fois la même chose, cela dépend d’une humeur, d’un moment, d’un public, cela est vivant et fragile, spontané et incontrôlable, comme le rire.

Il n’y a qu’avec le rire que vous prenez des risques. Les tragédies, j’en ai montées, j’en ai écrites, j’adore aussi, mais c’est bien moins dangereux, vous ne prenez pas de risques, sinon de faire chier les gens, de ne pas les émouvoir. Il n’y a pas de retour direct, il n’y a pas de bruit. Je dis ça, et pourtant, c’est bien sûr une bêtise. Les gens qui écoutent et les gens qui s’ennuient, au théâtre, n’émettent pas les mêmes sons. Au bout de quelques années, on sait bien les silences. Comme on connaît les rires. Les gentils, les gênés, les pourris.

Puisque nous parlons de ça, il y a un son que j’aime particulièrement au théâtre, que nul n’évoque jamais, c’est le bruit d’une salle qui sourit. Je vous jure que trois cents personnes qui sourient, au même moment, dans une salle de spectacle, cela est d’une joliesse inouïe. J’aime cette joliesse et j’aime ce son. Je le reconnaitrais entre mille.

Mais je parlais de cul, non ? Le rire et le sexe. Et puis l’amour. Pourquoi cette personne-là ? Pourquoi cette blague-là ? Pourquoi cette peau-là ?

Disons-nous ça. Le jour où je saurai pourquoi tu me fais rire, je te trouverai moins drôle. Le jour où je saurai pourquoi tu me fais bander, je pense que tu m’exciteras moins. Le jour où je saurai pourquoi je t’aime, sans doute alors ne t’aimerai-je plus.

ADDENDUM/ Pas de photo de Laurent Gerra, non. Plutôt crever. Les jambes et le rire de Rickie.


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4 commentaires

  1. Constance JOLY dit :

    bravo pour ce joli papier… mais pour : « les femmes de chambre ne m’excitent pas »… je ne comprends pas, raisonner en termes de corporation me semble très faux tout d’un coup. Bizarre alors que tout ce que tu dis me semble si juste, si finement observé…

    plein de bises
    constance

    • Pov'type dit :

      Toi je crois que pour être intransigeant comme tu l’es, tu dois être un adepte de la pensée unique. Il ne te reste plus qu’à aller voter pour François Hollande…
      Mais je suis prêt à parier que ta decision était déjà prise…

  2. Ah bien d’accord avec les quelques grands clowns cités, et à chaque fois que je pense à Will Ferrel, je pense à çà…
    http://www.youtube.com/watch?v=3BlHY69ZsZ0

  3. « Le bruit d’une salle qui sourit »: j’adore l’idée, j’adore la formule,
    et t’embrasse.

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