Une scène (#3)

— Pourquoi tu ne dis plus rien ? Tu boudes ?
— Je n’ai pas boudé depuis juin 84.
— J’avais un an et demi en juin 84.
— Moi j’avais un peu plus, mais je boudais.
— Tu comptes bouder encore longtemps ?
— Et toi ? Pourquoi es-tu encore là ? Ça fait une heure que tu es censée être loin.
— Tu n’es pas drôle.
— Je ne suis drôle que quand on me paie, c’est mon métier. Fais-moi un chèque et je serai drôle.
— Très bien. Je pars.
— Je prends les espèces, aussi. Pour info.
— Au revoir.
— Tu savais qu’un adolescent chinois avait vendu un de ses reins pour pouvoir s’acheter un iPad 2 ?
— Quoi ?
— La semaine dernière, c’était dans Le Monde.
— Je… ne savais pas, non.
— “L’apparence n’est rien, c’est au fond du cœur qu’est la plaie”.
— Je ne comprends pas.
— J’ai lu ça tout à l’heure. C’est très très beau, non ? C’est d’Euripide.
— Tu as quelque chose à me dire ? Une chose à me demander ?
— Non. Enfin… non.
— Dis.
— Quoi ?
— DIS !
— Les Repetto Bolchoï en 37, ils les ont plus au Printemps, ni aux Galeries, ni rue du Four, ni à la boutique place Vendôme.
—Et ?
— Et RIEN ! Ne fais pas chier, RIEN ! Ça me brise le cœur, c’est tout. (il s’arrête, boit une gorgée de vin blanc) Je pense que je vais m’évanouir.
— À cause des Repetto Bolchoï ?
— Absolument. La danse classique, ça brise le cœur. Surtout la russe.
— (se levant) Rien d’autre ?
— Rassois-toi.
— Pourquoi ?
— Parce que nous allons parler cinq minutes, et qu’au bout de ces cinq minutes tu vas finir par te rasseoir. Donc rassois-toi tout de suite, histoire de nous faire gagner cinq minutes.
— (se rasseyant) Pourquoi je me rassois, tu peux me dire ?
— Parce qu’on est mieux assis. Debout on est trop haut, on voit trop loin, parfois même jusqu’en Chine. Assis on ne voit que jusqu’au bar, ou la rue juste derrière. Assis on est très bien caché.
— Je…
— Je rien. Tais-toi.
(elle se tait, le regarde)
— Tu es très belle quand tu te tais.
(elle ne dit rien)
— “Nous étions les infos de onze heures. Tandis que le monde allait au diable, nous, nous faisions l’amour.”
— Brautigan ?
— Brautigan.

ADDENDUM/ Elle est pas belle la publicité pour la loi Hadopi sur la page d’accueil du site de Libé ?


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2 commentaires

  1. Michaèle dit :

    – Deux jours, déjà… Et toujours zéro commentaire. Ca veut dire quoi? Que les gens…ils… boudent?
    – C’est pas ça. C’est…pas ça…
    – C’est quoi, alors?
    – … Hein?
    – C’est ça, « hein »… Toi qui as toujours une explication pour tout, c’est quoi alors? Elle n’est pas bonne, cette scène?
    – Mais bien sûr que mais oui!
    – …Und?…
    – … Je crois que … qu’ils n’ont pas compris la chute…. Voilà. La faute à Brautigan, ils sont restés comme une poule devant un couteau. Voilà. C’est tout. T’en as même qui ont couru sur wiki pour se mettre au parfum. C’est tout. Voilà.
    – C’est pas une raison pour…Mais sinon, t’es sûr qu’ils ont aimé ? Ah! Ca y est, j’y suis : Tu dis ça par pitié. Par compassion.
    – Par con…mais t’es malade! T’es saoulant, à la fin.
    – Ok ok ok ok….. J’ai rien dit. Faut que t’arrêtes de prendre la mouche, toi.
    – … Bzzz…. grave…et profond…..
    – Dis voir, tu ne crois pas que c’est … à cause des Repetto Bolchoï, de l’évanouissement, tout ça?
    – Non. Tout mec un peu bien s’évanouit devant des Repetto Bolchoï. T’as pas vu Coppélia, l’autre nuit, sur la trois? A s’évanouir. Le Golem, en plus funky :  » tia da da, dam, tia da da « … Bon j’peux m’asseoir, là?
    – Oui. Mais tu es sûr qu’ils ont aimé scène #3?
    – ……..Oui………….
    – Faut vraiment t’arracher les mots de la bouche, toi.

  2. Manon dit :

    J’ai 17ans, j’ai découvert 107ans l’année dernière. On m’avait conseillé de lire Diastème, j’ai acheté 107ans. J’ai lu le livre d’une traite, je l’ai posé sur mes genoux et j’avais la tête-et le coeur- tout retourné. J’ai lu la Nuit du Thermomètre, l’Amour de l’art, la Tour de Pise, j’ai dévoré Bien le silence partout. Et je continue à dévorer ton blog. Je lis beaucoup, surtout des classiques, rarement des contemporains. J’ai un vieux préjugé comme quoi les vrais auteurs (je veux dire ceux qui écrivent des choses belles, qui font vibrer et qu’on peut relire 100fois en retrouvant toujours la même émotion) sont tous partis, et que les belles oeuvres se font rares aujourd’hui.
    Mon premier vrai amoureux m’a offert l’Ecume des jours peu de temps après que l’on se soit rencontrés. Je lui ai fait lire 107ans. Il a adoré. ça peut te faire sourire étant donné mon âge, mais je crois qu’il n’y a pas de plus beau amour que lorsque l’on a 17ans, et que l’on sait que l’on a trouvé la bonne personne, celle qui ne vous quittera jamais. Lucie n’a jamais quitté Simon. Ils seront toujours reliés quoi qu’il arrive.
    C’est drôle le sentiment qu’un bon livre procure. Je veux dire celui qui rappelle les personnes que l’on aime, qui fait parvenir les émotions que l’on ressent lorsque l’on est a ses côtés.
    Merci de me faire croire en la beauté, en l’amour, à l’enfance, au fait que les brillants écrivains sont toujours là, et ne disparaîtront jamais.
    Et pardonne moi mon style un peu maladroit!

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