Rue des Teinturiers (part 1)

Je déteste les gens qui disent “en” Avignon, je les hais, il faudrait rouvrir Guantanamo pour eux, leur mettre une salopette orange et leur passer du Mireille Mathieu en boucle toute la durée du festival. Ça fait près de six siècles qu’Avignon n’est plus une papauté, tas de truffes ! Six siècles que l’on doit dire “à” Avignon ! Mais je m’emporte. Et vraiment tout seul pour le coup.

À Avignon, je suis chez moi. Quand mon film est sorti je crois même que la mairesse m’a claqué un bisou en me remettant les clés de la ville. C’était un petit trousseau, je l’ai égaré. Cela dit la porte est toujours ouverte. Trouvé ça crétin comme cadeau.

À Avignon j’ai des amis. Un mois par an ou toute l’année. Je connais tous les restaurants, les bars qui servent après deux heures, la boite où finir la soirée – alors qu’à Paris je ne sais pas. J’y ai des souvenirs par milliers, des somptueux, des bien pourris – Le Bruit des gens autour 2 je vous le fais demain, j’ai la matière, en ai gardé pas mal sous le coude.

Un des meilleurs fut cette nuit où nous avons recréé le festival en septembre, rue des Teinturiers, avec les deux cents figurants, les mille fausses affiches, les jongleurs, les musiciens, les échassiers, l’homme-robot, le cracheur de feu. Je voulais tourner en séquence, les plans étaient très compliqués, et j’ai passé la nuit à rire.

Mettre le plan-séquence principal en place fut très long, il faisait froid – je me souviens que Laora, ma scripte, dite “maman”, m’avait passé une espèce de petit sachet de thé chauffant, à se mettre dans le dos, et qui étonnamment chauffait.

Le plan suivait Fred qui dansait, croisait Judith et Olivier, faisait danser un peu Judith, puis une passante, puis rejoignait Emma et Bruno, dansait avec Emma, puis attrapait leurs deux verres de vin rouge sur la table, l’invitait à trinquer, et brisait le verre dans l’élan ; Emma le regardait, atterrée, attrapait son sac et partait dans la foule. Cut. Tout ça avec les deux cents figurants qui passaient, les musiciens qui jouaient en direct, le verre truqué qui devait se casser, l’homme robot et le cracheur de feu, à qui j’avais expliqué à quel moment la caméra était sur eux, quand ils devaient faire leur routine…

Le plan doit durer deux minutes, c’est un de mes préférés du film, les comédiens, les figurants, la caméra de Philippe, tout y est presque parfait, à un petit détail près : sur les sept ou huit prises que nous avons tournées, pas une fois le cracheur de feu n’a craché du feu quand la caméra était sur lui. À chaque fois que Fred passait devant lui, il ne crachait qu’un petit pfft pourri d’essence, réessayait, s’énervait, puis, quand la caméra était loin, nous avions droit à une grande gerbe inutile, tandis que l’homme-robot, lui, de peur de ne pas être dans le plan, n’arrêtait pas de faire l’homme-robot, même quand nous avions coupé depuis des lustres.

Mon fou rire a duré trois heures, pas mal aidé par la fatigue, le temps de mettre le plan en boîte. Je suivais la scène sur le combo, voyait le petit pfft pourri derrière Fred, commençait à pouffer, et trente secondes plus tard, alors que nous étions de l’autre côté, j’entendais le bruit de la gerbe de feu, Laora me donnait un coup de coude, et vraiment là je pleurais de rire. À la fin du plan, je criais “Coupez !”, et l’homme-robot continuait…

Je ris encore en y repensant, et il m’est impossible de passer rue des Teinturiers sans songer à mon cracheur de feu et à mon homme-robot.

Le festival va bientôt démarrer, quelques miens sont déjà partis, ils travaillent, commencent à chocotter sévère. Plus que quelques jours et hop.

ADDENDUM/ J’aime cette photo de tournage signée Pascal Chantier.


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11 commentaires

  1. carine dit :

    Bon festival à vous !

  2. Constance JOLY dit :

    J’adore. Ton film, ton post, ton Fred, ton cracheur de feu à retardement, ton homme-robot, tes souvenirs. C’est sobre hein comme commentaire, mais c’est vrai.

  3. Manon dit :

    c’est chouette. Ça donne envie. Ça fait rêver une scène comme ça. Aller Bon festival!

  4. Envie de le revoir ce Bruit des gens autour tiens, en posant un regard plus appuyé sur ton cracheur de feu.
    Envie que tu reviennes aussi, pour lire La Rue des Teinturiers (part 2).

  5. karine dit :

    j’aime bien penser au cracheur de feu et à l’homme robot, j’ai l’impression d’entendre parler du Magicien d’Oz!!
    bises
    k

  6. JF Zou, je t'attendrai avec un fenouil à la main dit :

    Coucou,

    un petit commentaire de remontage de moral, donc, puisque je te te sens susceptible de faire passer d’autres priorités avant celle-ci. Evidemment, le côté peu de commentaires, et souvent par les mêmes auteurs, pourrait te laisser penser que tu écris en vain, et pour qui ? Mais enfin, sois raisonnable, tu sais bien qu’on peut être des milliers à être fans de tes billets (entre parenthèses, voir un message d’une JF de 17 ans (Marie, je crois?) qui prend une claque en tombant sur 107 ans, alors qu’on est plutôt un régiment de trentenaires, voire de quadras à te suivre depuis 20 ans, ça fait plaisir, nan?), et pour autant, ne pas se sentir chiche d’écrire un petit mot, inévitablement mal écrit quand on passe après toi.
    Bref, je ne sais pas si tu es informé des nouveaux commentaires, y compris si on revient sur un billet plus ancien, donc pêle mêle plusieurs idées qui m’ont traversées récemment l’esprit à la lecture de tes billets.
    D’abord, je ne sais plus quel billet (la plupart d’entre eux en fait) m’a fait penser à une citation que j’aime beaucoup et qui devrait te plaire : « la vie est une vraie vacherie, et après on meurt » ; mais impossible de retrouver qui a dit ça… je pensais Oscar Wilde, mais c’est sans doute quelqu’un de plus cynique encore…Bukowski ?…Si quelqu’un retrouve, je suis preneuse.
    Ensuite Doléances : est ce que tu ne mettrais pas quelques une de tes chansons en ligne, à défaut d’en sortir un cd ? J’en peux plus de cet enregistrement issu d’un enregistreur numérique des années 80 aux Déchargeurs, évidemment pas sorti de la régie, donc avec un son de souffleur de feuilles de la DDE…
    3èment est ce qu’on pourrait une bonne fois pour toutes, non d’une pipe, avoir ton best of livres à avoir impérativement sur sa table de chevet, notamment ton meilleur Brautigan (j’aime trop Un privé à Babylone pour arriver à lire les autres, j’y reviens toujours, mais je suis sûre qu’il y a des perles inexplorées), ton meilleur Honoré (j’aimerais pouvoir adorer ce garçon, je sais tout le respect que tu as pour lui, mais franchement La Douceur, pas réussi à rentrer dedans, et pareil, je suis sûre qu’il y a des perles que je ne connais pas), et puis les autres. Perso, pas bouleversée par grand chose depuis plusieurs mois, et pourtant, qu’est ce que j’en bouffe du bouquin. Enfin je ne saurais trop vous recommander les bouquins de Brigitte Giraud, notamment J’apprends et Une année étrangère, mais c’est comme toi, elle ne produit pas suffisamment pour nous occuper toute l’année. Qu’est ce qu’on fait entre 2 sorties ? Remarque si c’est pour finir comme Djian à faire du copier coller systématique, tu as évidemment raison de garder ton rythme, d’autant que tu as la gentillesse d’être franchement polyvalent, et d’avoir toujours un truc sur le feu, donc, on ne peut pas t’en vouloir.
    Dernier point, idée de billet, puisque tu en cherches : est ce que tu raconterais à ma fille qui a 7 mois dans mon ventre, avec tout ton cynisme, ton humour et ta sensibilité, ce qu’elle va découvrir en sortant, ce monde de brutes parfois peuplé de douceur, les trucs drôles mais pas que, comme tu sais bien faire, avec des mots que je pourrais lui dire en comptine du soir d’ici 2 ans, histoire qu’elle se familiarise vite avec mon écrivain préféré. Je lui parlerais de toi dans mon album où je lui explique comment se passe ces 9 mois à l’attendre, les belles personnes qui entourent ses parents, et les jolis moments qu’on partage avec son papa.

    Enfin, pour conclure ce trop long commentaire, vraiment, ne baisse pas les bras, tu as tellement de talent, et c’est si bon de te retrouver sur ce blog, sincèrement.
    Promis, je m’efforce de te trouver des sujets à suggérer.
    On a dit rien de perso, mais des bisous, juste plein de bisous, c’est pas vraiment du perso, t’as qu’à mettre ça sur le compte de l’inconditionnalité.

  7. Virginie dit :

    On devrait avoir la possibilte de dire « j aime » sur les commentaires aussi !

  8. rodier dit :

    Un métier de fous, d’amoureux souvent, des gens qui rient qui pleurent autour de nous avec nous et surtout comme nous !! Exposé(e)s

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