Questionnaire de genre Proust

Via l’excellente rubrique “Doléances”, Carine m’a posté ce questionnaire. Comme je suis un garçon bien élevé, qui sait choyer son lectorat, voici donc ces quelques réponses.

Le livre qui vous a causé votre premier choc littéraire
.

Très difficile. Sans doute un Boris Vian, L’Écume des jours, ou J’irai cracher sur vos tombes (parce qu’il y avait du sexe), ou bien Paroles de Jacques Prévert. Chocs littéraires enfantins, même pas adolescents. Manière de trousser les mots et les phrases autrement, de créer des images, de ne pas toujours comprendre mais de trouver ça beau. Sinon la poésie, bien sûr. Celles apprises à l’école, La Fontaine, “Un jour, sur ses longs pieds, allait je ne sais où / Le héron au long bec emmanché d’un long cou. / Il côtoyait une rivière. / L’onde était transparente ainsi qu’aux plus beaux jours.” Je m’en souviens encore, c’était si bien écrit. Cela a dû jouer. Et puis Flaubert, Hugo, Molière, Apollinaire, Corneille, Cinna – même si Racine depuis m’a bien plus bouleversé.

Le livre qui vous a fait dire “je veux écrire”.

Compliqué également. L’envie d’écrire vient tôt, le faire une autre histoire. Mais certains aident, poussent, tannent. La littérature américaine, je pense, d’abord. Fante, Carver, Bukowski, Miller, puis Philippe Djian arrive, et par lui Brautigan. Brautigan je comprends, je comprends tout, je suis capable. Ce que j’écris à quinze ans n’arrive pas à sa cheville, mais la statue est abordable, l’ombre ne vous écrase pas. Ce n’est plus tard que l’on se rend compte qu’il faudra des années pour lui frôler le genou.

Le livre que vous offrez le plus.

Un privé à Babylone, de Richard Brautigan. Livre considéré mineur, œuvre absolument magistrale, que j’ai bien dû racheter vingt fois – et que je rachèterai vingt autres. Sinon Belle du Seigneur, la version en Pléiade, vraiment joli cadeau.

Le livre dont vous ne vous lassez pas de relire
.

Les deux sus-cités, ai-je naturellement envie de dire. Et tout l’un ou tout l’autre de ces très grands auteurs. Je peux ouvrir un livre d’Albert Cohen à n’importe quelle page, n’importe quel livre, et savoir que je vais passer un moment délicieux. Sinon La nuit, le jour, et toutes les autres nuits d’Audiard.

Le livre qui vous fait dire “il devrait être obligatoire au Bac !”

Les Justes. J’aurais pu le mettre plus haut, d’ailleurs. Choc littéraire, émotionnel, claque dans la gueule, assez tôt également. Je suis en classe de première, ma professeur de français et d’italien, qui s’appelle madame Ricci, que j’aime beaucoup et qui est folle, nous fait lire cette pièce de Camus. Je la lis et c’est terminé. Je suis Yanek, je jouerai ce rôle. Plus tard, je réalise que je ne suis pas du tout comédien, que ce n’est pas du tout mon truc ; disons plutôt, alors, que je la mettrai en scène. Garçon têtu, et obstiné – “l’amour est une aventure obstinée”, vingt ans plus tard je la mets en scène. Et j’ai beau avoir écrit et monté de nombreuses pièces, c’est une de celles dont je suis le plus fier. D’ailleurs, pour me la péter, si vous achetez un jour Les Justes dans La Pléiade, il y a mon nom à l’intérieur. Je peux mourir tranquille.

Le livre qui vous fait dire “c’est mon histoire ça !” (un livre dont vous êtes l’auteur serait évidemment une réponse trop facile)

Deux jours entiers que je réfléchis à cette question. Plein de blagues me viennent, mais non – pourtant elles étaient bonnes. Dès que j’ai une réponse je te dis.

Le livre dont vous avez repoussé la lecture à cause d’un gros préjugé et qui vous fait dire «les préjugés, c’est tout pourri».

La Recherche. Mais pas à cause d’un préjugé, je n’y arrivais pas. J’ai tenté à quinze ans, puis à vingt, puis à trente, cela me tombait des mains. Ce n’est que très récemment que j’y suis arrivé. Trouvé ça somptueux, évidemment.

Le livre dont vos amis disent «tu lis ça toi ?»

Céline. Tous mes amis sont de gauche.

Le livre que vous n’avez jamais rendu à son propriétaire… d’ailleurs, il peut toujours courir pour le récupérer.

Mon Frère, de Jamaica Kincaid. Et le Journal de Joyce Carol Oates.

Le livre qui vous fait voyager et qui vous a décidé à aller dans les lieux décrits.

Aucune idée. Spontanément, il me vient Les monologues du vagin, mais je ne suis pas sûr sûr de cette réponse.

Le livre qui vous enracine.

Andromaque.

Le livre qui devrait être remboursé par la sécurité sociale.

Envoie-moi au ciel, Scotty de Michael Guinzburg. Et L’irremplaçable expérience de l’explosion de la tête – même auteur.

Le livre qui ne vous quitte pas.

Éloge de l’amour.

Le livre dont vous pouvez réciter des passages par cœur (non… un livre dont vous êtes l’auteur serait toujours une réponse trop facile).

Sur la route, Kerouac, même si je triche un peu – l’extrait était dans 107 ans : “Et je traînais derrière eux comme je l’ai fait toute ma vie derrière les gens qui m’intéressent, parce que les seules gens qui existent pour moi sont les déments, ceux qui ont la démence de vivre, la démence de discourir, la démence d’être sauvés, qui veulent jouir de tout dans un seul instant ; ceux qui ne savent pas bâiller, ni sortir un lieu commun, mais qui brûlent, qui brûlent pareils aux fabuleux feux jaunes des chandelles romaines explosant comme une poêle à frire au milieu des étoiles.”

ADDENDUM/ J’ai bon ?


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10 commentaires

  1. Bon ok, j’ajoute Belle du seigneur in extremis dans mon énorme valise…

  2. carine dit :

    « Les Justes  » absent des bacs à Ombres Blanches, « L’écume des jours » indisponible chez Gibert, « Un privé à Babylone » introuvable à Castela, « Sur la route » en rupture à la Fnac….L’influence de ce blog fout les j’tons…

  3. JF Zou, je t'attendrai avec un fenouil à la main dit :

    Merci à Carine d’avoir enfin su soutirer ces précieuses infos à notre idole, et merci à lui d’avoir eu la gentillesse de se prêter à l’exercice pas facile du tout (j’ai l’impression d’être une grande lectrice, mais je suis sûre que j’aurais galéré sur la plupart des questions, à part sur le Privé à babylone peut-être…)
    Biz, Biz

    • Carine dit :

      Entre le « tilt » qui m’a donné l’idée, le comment faire la liste des questions, de voir qu’il y avait une réponse, et les réponses en elles-mêmes, ce fut une vrai plaisir crescendo d’un bout à l’autre. Je vous remercie pour le merci, pour ma minime contribution.

  4. Carine dit :

    Pour des raisons qui me regardent et qui sont donc supers capitales, vous êtes invité Mr Diastème à répondre à cette nouvelle question ( sinon, je vais pas en dormir, déjà que je dors pas des masses ou à des heures où on ne dort pas, mes voisins vous remercie d’avance )
    « Le livre qui est votre dernier coup de cœur »

    • Carine dit :

      et puis vous seriez bien aimable de mettre le -nt qui manque au com’ précédent, et ma question et votre réponse à la suite de votre post, parce que ça sera plus joli.
      merci !!

  5. Pascal dit :

    Salut. Madame Ricci, Prof français Italien ? Mais où ? Je l’ai eu quand j’étais en 4e 3e Dans le 13 e arr de paris en 1978. Possible que se soit elle ? Merci de répondre. Pascal

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