Le temps ne s’arrangera pas en juillet

Je viens de lire ce titre de dépêche, ai trouvé ça très poétique. Cela pourrait être dans une chanson, un poème. La météo dans les poèmes, la météo dans les chansons. Celles de Tom Waits par exemple.

J’avais prévu de parler de lui dans ces pages, de vous raconter notre rencontre, les fois où je l’ai vu en concert, comment il m’a cédé les droits d’une de ses chansons pour mon film. Ce sont de bonnes anecdotes, je les écrirai un jour. Il m’avait dit une chose qui m’avait beaucoup troublé concernant les chansons : “80% des chansons racontent la même histoire. Il pleut / Un chien aboie / Tu me manques. Tu brodes un peu autour et tu as ta chanson.”

Tom a toujours raison. Et si l’on retire Il pleut la chanson est moins bien. Celle que j’ai prise dans mon film, par exemple, s’appelle : “Rains on me”.

This is how the world will be / Everywhere I go it rains on me.

Les puristes savent que le titre avait originellement été écrit pour l’album Extremely cool de son ami Chuck E Weiss (ami de Rickie Lee Jones également, pour qui elle écrivit “Chuck E’s in love”). Mais je préfère la version de Tom, c’est elle que j’ai choisie. Lorsque la pluie s’abat sur Avignon dans mon film, que l’eau empêche les spectacles, que tous mes personnages se rassemblent et se soudent, c’est elle que l’on entend.

Je pense à la pluie sur le festival, celle qui tombe en ce moment, je pense aux spectacles annulés, aux affiches molles dans le caniveau, aux spectateurs qui restent chez eux.

L’eau est une chienne à Avignon, on en manque pendant des semaines, envie qu’elle vienne nous rafraîchir, puis elle tombe et ne s’arrête plus, l’orage éclate, les éléments se déchainent, comme si ce n’était pas suffisamment violent et compliqué comme ça.

À part le vrai faux spectacle de Léa dans Le Bruit, au cloitre des Célestins, je n’ai jamais monté de spectacle en plein air. Une fois seulement, j’en ris maintenant, mais je n’ai pas du tout ri sur le coup.

C’était il y a deux ans presque pile, le 30 juin 2009. Nous sommes allés jouer Les Justes au festival d’Anjou – devant le château de la Perrière, splendide endroit. Les spectacles se donnaient dans la cour extérieure, face à laquelle était dressé un gigantesque gradin.

Nos chers tourneurs, pour économiser une nuit d’hôtel, ne nous avaient fait venir qu’à midi. L’équipe technique était partie la veille avec le décor, les lumières, afin de faire les réglages de nuit. J’aurais dû aller avec eux, mais nous étions en pleines répétitions de L’Amour de l’art, dont la première était la semaine suivante au Chêne noir, j’ai pris le même train que les comédiens.

Quand nous sommes arrivés sur place, je me suis rendu compte d’un problème – le décor avait été mal monté, et donc les lumières mal réglées (il faut que dire que Stéphane Baquet, mon éclairagiste attitré, n’avait pu se libérer pour cette date, et avait envoyé un remplaçant, qui ne connaissait pas bien le spectacle).

Le problème n’était pas très grave, dans une salle de théâtre, cela aurait été réglé en une heure, seulement ce n’était pas une salle de théâtre, c’était un espace en plein air, et on ne règle pas des projecteurs en plein jour, surtout quand les faces se situent à 50 mètres de distance et 20 mètres de hauteur.

J’étais très agacé, je cherchais une solution, il était 14h : et là il s’est mis à pleuvoir. Vite nous avons rangé le décor, nous sommes abrités dans le château, avons attendu que la pluie cesse.

La pluie n’a pas cessé, l’après-midi entière.

Les organisateurs nous avaient prévenu qu’ils prendraient la décision d’annuler à 20h si elle tombait encore. La pluie s’est arrêtée à 20h.

Entre temps, j’ai tourné comme un fauve sur la scène, sous l’orage, cherchant des solutions. J’étais trempé mais je ne sentais pas l’eau, l’équipe me voyait faire par la fenêtre, un peu inquiète. On me disait de me mettre à l’abri, je ne répondais pas, je tournais en rond. Furieux contre mes tourneurs, furieux contre l’équipe technique, furieux contre le ciel, et surtout furieux contre moi, qui aurais dû venir la veille.

À 20h, donc, la pluie s’est arrêtée, 800 spectateurs se sont installés sur les gradins avec leurs cirés jaunes. La “salle” était complète. Nous n’avons pas réinstallé le décor, j’ai pris la décision de redessiner l’espace de jeu avec les trois grandes parois noires qui masquaient les fenêtres du château, nous avons juste installé la table et les deux chaises. Et comme il faisait encore jour à 20h, nous n’avons pas pu rerégler les lumières.

Les comédiens ont été formidables – pourtant ils n’avaient pas eu le temps de répéter, de prendre leurs marques, et la pluie n’a pas repris.

Je n’ai pas “regardé” la pièce, je l’ai juste écoutée, marchant dans l’herbe derrière les gradins. De temps en temps je jetais un œil, je voyais les lumières, un frisson me parcourait, pourtant ce n’était pas si moche, théâtre conceptuel, eux en costumes d’époque dans ce décor moderne, ce château en arrière-plan, et ces faisceaux bizarres qui juste les effleuraient.

Les spectateurs n’ont pas moufté pendant une heure et demie, puis ils ont applaudi debout, ne s’étant rendus compte de rien, pensant que c’était le “vrai” décor, les “vraies” lumières. J’ai applaudi aussi, fier de mes comédiens. À l’oreille, qu’ils le sachent, cela restera pour moi une des plus belles.

On nous a félicité à la fin, vraiment chaleureusement, mais je n’écoutais pas, j’étais furieux, je suis parti marcher pour me calmer. Quand je suis revenu, tout le monde était parti. Ou presque. Juste l’équipe m’attendait. Nous avons bu un coup, enfin ri, apprécié cet instant. Quelqu’un a dit : “On s’en souviendra dans vingt ans !”

“La Russie sera belle !”, un autre a ajouté.

ADDENDUM/ Yanek et La Grande Duchesse en maillot (voir photo).


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1 commentaire

  1. carine dit :

    Toutes ces aiguilles font la photo très belle

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