Bien aimer

C’est rare les gens qui savent aimer.  C’est tellement douloureux d’aimer, c’est tellement intrusif. De quel droit se l’accorde-t-on ?

Je sais ceux qui ne veulent pas aimer. Parce que ça les dépasse, parce qu’ils ne contrôlent plus, parce que cela est risqué. Je sais ceux qui ne veulent pas avoir mal. Petites vies, petits coeurs, s’épargner. Ils perdent quelque chose, quelque chose qui ressemble au bonheur de la foi, cette folie, quelque chose qui éclaire, qui nous guide, qui donne sens. Jeter son dévolu, fixer son choix, ne pas douter, s’y accrocher. Rien n’attendre en retour.

Je sais ceux qui aiment mal, qui attendent en retour. C’est aimer à moitié, garder comme une armure. Croire en Dieu quand ça nous arrange, quand on a peur de mourir, vivre comme s’il n’existait pas sinon. Se débrouiller, s’arranger, penser toujours d’abord à soi. Quand on aime on ne se protège pas, on ne pense pas à soi. On se donne à corps perdu, quitte à perdre son corps, sa santé, sa raison. “Je meurs si je vous perds mais je meurs si j’attends”.

Je sais enfin ceux qui aiment bien, qui n’ont pas peur, qui se lancent. Ils me bouleversent, ils sont mes frères, ils sont mes sœurs. Ce sont ceux-là. Comme Chiara dans le film de Christophe, Les Bien-Aimés. Son plus beau film peut-être.

Je n’aurais sans doute pas écrit sur elle en ces termes lorsque j’étais critique de cinéma. J’aurais tout vanté sur ce film, tout, l’écriture, le filmage, les chansons d’Alex, le montage (immense) de ma Chantal (Hymans), et tous les comédiens, tous. Je ne me serais pas permis ce que je me permets désormais. Je ne suis plus critique, je ne l’ai jamais été, j’ai juste écrit sur le cinéma. J’aurais parlé de la mise en scène, ce qu’est la mise en scène, si quelqu’un sait encore – et que ceux qui ne savent pas aillent voir ce film, ils apprendront. Et j’aurais abondé dans le sens de Christophe : les seules histoires qui vaillent sont les histoires d’amour. Le reste n’est pas littérature, le reste n’est pas cinéma.

J’ai vu le film plusieurs fois et j’ai pleuré à chaque. Pleuré comme un enfant, bouillon de larmes salées. L’amour de Chiara me bouleverse, son histoire me bouleverse, son visage me bouleverse, sa beauté me bouleverse. Comme elle ne m’avait jamais bouleversé jusque là. Les visages et les corps ne nous disent pas grand chose, ce sont les histoires qui les habitent, pas le contraire.

“Mais j’ai beau faire, je tombe d’amour / Les filles légères ont le cœur lourd / Le poids du cœur rattrape toujours / Les filles légères et toutes un jour / Ont ce sentiment d’échouer / De s’être légèrement plantées” lui fait chanter Alex, et c’est tellement beau, ce dialogue avec sa mère, comme sont déchirants “Ici Londres” (qui est devenue une de mes chansons préférées au monde), “J’en passerai des meilleurs”, “Qui aimes-tu”, “Jeunesse se passe”. Toutes les autres.

Je ne vais pas vous raconter le film, je vous laisse le bonheur de la découverte, le plaisir de l’émotion. Le reste est à niveau. Ludivine, Louis, Deneuve, Forman, Delpech, et ce formidable comédien qu’est Paul Schneider. C’est tellement rare d’être ému, touché, ouvert en deux par un film, un livre, une pièce, de sentir la beauté, la justesse, l’amour qui s’en dégagent. Cela n’existe quasiment plus – l’époque et le système se foutent de la beauté, de la justesse, de l’amour ; cela réexistera, j’espère.

“Tu n’es plus là, rien n’a changé / Le problème est le même tu sais / Je peux vivre sans toi oui mais / Ce qui me tue mon amour c’est / Que je ne peux vivre sans t’aimer”.

ADDENDUM/ Le film sort le 24 août dans les salles, la bande originale est déjà dans les bacs, et j’aime beaucoup beaucoup cette affiche. Si vous m’aimez un peu, faîtes-moi confiance, allez-y.


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9 commentaires

  1. Ah Chiara, quelle grâce. Tellement hâte de voir ce film! Merci pour ce si joli point de vue.

  2. Carine dit :

    J’avais déjà prévu de voir ce film. Ce billet augmente mon impatience, c’est malin!
    Vous dîtes « l’époque et le système s’en foutent de la beauté, de la justesse, de l’amour ». Ce n’est pas en effet à la une de la presse, des journaux, des projets banquébeules (mot et sens laids, je l’écris donc laidement).
    Mais les gens de l’autre côté ne s’en foutent pas. De constater qu’ « Un amour de jeunesse », par exemple, ne soit pas le jour de sa sortie projeté dans les complexes blindés de salles, me laisse supposer que certains dans leur bureau ne savent pas aimer. De voir la file d’attente dans le cinéma de quartier, de se faire rattraper par des images, des dialogues, la musique, de constater qu’on en discute lors de retrouvailles me fait dire qu’on est encore quelques uns à savoir aimer.
    Si les producteurs/éditeurs disent que les spectateurs/ lecteurs ne veulent pas voir/lire ça, je vous demande à genoux de leur dire « allez en discuter avec Carine, elle vous expliquera »(j’y mettrai les formes, du moins, je ferai mon possible, promis).
    Le seul avantage que je vois à « ce que l’époque et le système s’en foutent de la beauté, de la justesse, de l’amour » est ça nous fait encore plus apprécier ces petits bijoux de beauté, de justesse, d’amour : ça nous gonfle de bonheur.
    L’inconvénient est bien sûr pour ceux qui savent aimer et qui ont du mal à se faire éditer, produire. Mes encouragements vont pour eux, de tout cœur.

  3. C’est beau ton texte. Il m’arrive parfois de fredonner une vieille chanson de Piaf qui se termine à peu près : »dans la vie, on est peau de balle sans un amour à son cou, sans amour on rien du tout, on est rien du tout…. Elle savait p cette immense amoureuse, l’amour fait peur, la passion paralyse, , il faut les avoir vécu, les larmes ne seront jamais de mauvais souvenirs. le problème, c’est que dans les films et dans les chansons , l’amour est souvent sublimé, et dans la vie il manque très souvent de grandeur. Vite voir le film de Christophe Honoré. Melancholia m’a beaucoup touché. A très vite.much love, comme disent les anglais.

  4. carine dit :

    Vu la première fois aujourd’hui à la séance de 10H50, pas encore remise, et c’est tant mieux.

  5. karine dit :

    merde c’est drôlement bien les bien-aimés!
    et c’est bien que ça soit bien
    bises
    k

  6. Carine dit :

    Bonsoir les gens,
    Quelqu’un pourrait-il m’expliquer pourquoi un film qui est projeté en clôture du festival de Cannes, qui reçoit des bonnes critiques avant sa sortie dans les différents médias, et tout et tout… pourquoi donc un tel film n’est pas mieux « défendu » par les diffuseurs?
    Pourquoi n’avoir choisi que des complexes qui n’ont même pas mis l’affiche en entier sur leur façade (affiche pliée en deux, la classe! heureusement, ils ont gardé la partie basse avec le titre, mais plier une affiche, ça ne se fait pas!!!), et ce, moins d’une semaine en plus, alors que les autres cinémas dits eux « art et essai » juste à côté, souhaitaient le diffuser, n’ont pas pu l’avoir, et ne l’auront pas avant 6 semaines (minimum)??? Pourquoi ne pas avoir fait plus de copies??? Je ne suis pas du milieu, y a sûrement des intérêts, des enjeux, des stratégies qui m’échappent, mais s’assurer que le film soit visible, n’est-ce pas normal?
    La salle du multiplexe était une « petite » en plus, même nombre de spectateurs accueillis que dans une des 3 ou 4 salles des cinés art et essai…
    J’aurais eu le même raisonnement sur « la visibilité » d’un film à sa sortie, mais en plus, j’aime « Les Bien-Aimés ».
    Je suis colère!!!
    Si vous me répondez  » demande au Pacte », c’est prévu, mais là, faut que je me calme avant…
    Allez voir « les Bien-Aimés », aller le revoir même, vite.

  7. maria dit :

    vous avez bien dit
    le poids du coeur rattrape toujours
    dans ce film superbe et magique

  8. Carine dit :

    Sortie en DVD prévue apparemment le 18 janvier.

  9. Carine dit :

    Nommé pour les Césars 2012 : Meilleure musique originale : ALEX BEAUPAIN pour « Les bien-aimés »
    Et c’est normal, et c’est mérité qu’Alex soit nommé…
    et puis c’est tout, et ce n’est pas normal par contre…

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