Jeûne con

J’ai deux amies qui ne boivent que de l’eau. L’une la boit chaude, l’autre la boit froide, et elles ne boivent toutes deux que ça. Je ne donnerai pas les noms, car je suis élégant – et je sais que vous allez vous moquer, ne dîtes pas non, tas d’alcooliques. Disons qu’elles sont toutes deux assez dures à épeler, que celle qui ne boit que de l’eau chaude a joué dans mon film, alors que celle qui ne boit que de l’eau froide a écrit “La mer noire”. Mais chut. Ces amies ne boivent que de l’eau, donc, depuis toujours, pourtant ce sont de sacrées bougresses, premières partantes pour la nouba. Trois heures du matin et youpla, Zim-Zam et Kéké sur la table, et va z’y donc le french cancan ! et que je te chante du Claude François ! et t’as déjà vu les clodettes ! et t’as déjà vu mes nichons ! et t’as déjà… Quoi ? Ah. Oui. Pardon.

Boire de l’eau ne rend pas moins festif, tout est question de caractère. Les fâcheux sont fâcheux même à jeun, les drôles restent drôles même à l’eau. Peu vrillent vraiment sous les effets. Mais cela arrive. Le verre de trop et patatras, autre personne en face de vous. J’en connais, c’est embêtant, mais je ne crois pas être de la sorte. L’alcool me rend un peu saoulant, moins fin, plus slave, mais toujours de bonne compagnie j’espère – et que les plus proches des miens aient l’amabilité de ne pas égrainer les éventuels contre-exemples. On ne dénonce pas, cela n’est pas beau.

Depuis vendredi à minuit en huit je n’ai pas bu une goutte d’alcool. Je m’aime beaucoup, suis fier de moi. Très étrangement, pourtant, quand vient l’heure de l’apéritif, je vendrais ma mère pour une binouze – je plaisante, mère, je plaisante, tu sais que je préfère le vin rouge. En en parlant, à table cela fait comme un grand vide. Plus rien ne va avec les plates cotes, les oursins, la blanquette. Selon que nous prenons du poisson, tranche de citron dans son Perrier / ou pas, fantaisie fulgurante, extravagance ultime. Et en digestif un café.

En revanche on se réveille très en forme, bien coiffé. Les idées sont si claires qu’on peut se voir dedans. Surtout ne pas regarder, se laver, s’habiller, aller faire son yogging. On se couche en forme pareillement, on ne jette plus ses affaires en boules, on les range sur le valet de chambre, on met son pyjama, on va se brosser les dents, on met sa crème de nuit, on chausse ou ne chausse pas ses lunettes, on prend un bon bouquin d’Annie Ernaux, on fait une bise à sa compagne, bonne nuit poussin, bonne nuit chéri, tu éteindras ? Huit heures sans le moindre sursaut plus tard, on se réveille la raie au milieu, sans être allé vomir du tout. On ne vomit plus. Jamais. Mon Dieu.

Bukowski n’est pas épatant comme modèle, Jean d’Ormesson pas mieux. Trouver un entre-deux disons. Penser à Zim-Zam et Kéké, penser à tous ces mois de jeûne précédents, où l’on s’est amusé néanmoins, penser à tout ce travail effectué sans la moindre gouttelette, penser au sexe, incomparable, penser à ces kilos perdus, penser à sa santé, penser à ce que l’on s’est promis vendredi à minuit en huit.

Mais être en forme cela épuise. L’impression d’avoir pris de la coke. Alors qu’on déteste la coke, qu’on hait le principe même de la coke. Faire quelque chose avec sa forme, expérience sensorielle, parcours ayurvédique, chemin de croix, de bois, de fer.

Appuyer sur la touche rinçage, regarder tourner les tambours.

Être patient et obstiné.

ADDENDUM/ Si vous n’avez pas eu le bonheur de la découvrir à Avignon, Une envie de tuer sur le bout de la langue, la pièce de Xavier Durringer, mise en scène par Andréa Brusque, avec une troupe de comédiens formidables, se jouera à Paris à partir du jeudi 13 octobre au Théâtre de Ménilmontant. J’ai déjà eu l’occasion de souligner ici tout le bien que j’en pensais – spectacle rare, inventif, vivant, haletant, comique, tragique, superbe. Tous les renseignements , ou , ou . Courez-y.

 


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3 commentaires

  1. Y’a un truc vraiment pas crédible là-dedans, un seul, non franchement « le yogging » tu veux faire croire ça à qui? 🙂

  2. même si ça brûle la langue dit :

    « Quand il fait très chaud a l’extérieur, il faut boire très chaud à l’intérieur… « 

  3. sophie dit :

    tiens dis donc tout pareil ici ! – cure d’automne 😉

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