Babylone

C’est au début de la troisième chanson de Gaëtan Roussel que je me suis dit qu’il fallait que je m’absente. Je fais cela assez souvent, m’absenter, rêver à Babylone. Mon Babylone à moi – contrairement à celui du Privé dans un de mes romans préférés au monde, ne se situe pas vraiment à Babylone. Il n’y a pas Nabuchodonosor, pas de vue sur l’Euphrate, pas de combats contre les Perses.

J’étais assis au dixième ou onzième rang du nouvel Olympia, c’était la soirée du Prix Constantin, et nous étions quelques amis pour encourager notre Alex. En lever de rideau, le “président” de la cérémonie, Gaëtan Roussel, est arrivé sur scène. Nous pensions qu’il allait simplement dire un mot, et c’est là qu’il s’est mis à chanter. Longtemps.

Comprenez-moi, je n’ai rien de personnel contre Gaëtan Roussel – le garçon a l’air en plus extrêmement sympathique ; juste, pour moi, ses chansons sont une sinécure, une tannée, un très très long de moment de solitude. Je ne dis pas que c’est mauvais, je dis que ce n’est pas pour moi, du tout, je dis que cela m’ennuie et m’oppresse. Je ne comprends pas sa musique, je ne saisis pas ses mélodies, je n’entends rien à ses paroles, le ton de sa voix m’insupporte. Assis où je l’étais, il eut été indélicat de ma part de me lever et de partir. Lors j’ai fugué à Babylone.

Mon Babylone du soir était riche et très beau, il était peuplé de décors, de danseurs, de tables de bar, de collants blancs. Quelques personnes que j’aime s’y habillaient sur une musique – pas Gaëtan Roussel, non, The Motels. Il y avait aussi quelques feuilles mortes, un parc en guise de décor d’opéra, fantaisie automnale, vingt musiciens dans une fosse, une publicité Repetto au lointain, un couple sur des tabourets, la devanture d’un restaurant thaï… J’étais très bien, je tenais la main d’une personne chère, et puis j’ai rouvert les yeux… En plus de Gaëtan Roussel, il y avait maintenant Benjamin Biolay sur scène – le vrai cauchemar, donc.

Alors oui, non, je ne fais pas partie des aficionados – je ne dis pas que c’est mauvais, loin de là, je n’ai rien contre la personne – il était formidable dans Stella, en plus ; mais ses chansons, sa voix, ses arrangements, ça ne marche pas avec moi, non plus, du tout. Plutôt que de me mettre à gémir j’ai préféré fermer les yeux. Je suis reparti à Babylone.

Ce qui s’y est passé est assez personnel, du domaine de l’intime, vous comprendrez fort bien que je n’en parle pas. À un moment, très doux, et assez sexuel néanmoins, j’ai cru entendre Camelia-Jordana… Elle n’était pas à Babylone, mais sur scène, avec notre ami président, chantant du hip-hop en anglais. Cela m’a fait plaisir de la voir. Puis je me suis dit qu’inviter une des plus belles voix françaises sur scène pour lui demander de venir rapper du hip-hop en anglais était une idée que je n’aurais pas eue.

Camelia-Jordana s’en est très bien tirée, même si cela n’avait aucun intérêt, puis notre président a chanté une dernière chanson, à la guitare, de loin la mieux, un peu crétine, “Se souvenir des belles choses”. C’est également ce que je me suis dit.

Je n’ai plus rêvé à Babylone de la soirée, qui a vraiment été très très longue. Après un petit entracte, la “compétition” a démarré. Alex a chanté en premier, “Au départ”, il a été parfait, brillant, émouvant, drôle. Ensuite ce fut neuf autres, dont je n’ai rien retenu ou presque. L’assez bonne chanson d’L. (moche à écrire, oui) ; le dénommé Cascadeur, atroce mélange de Rémy Bricka et de Daft Punk, avec la voix de Grégory Lemarchal ; les Brigitte, affreux ; plein d’autres, que j’ai déjà oubliés, ponctués par les blagues d’un comique assez malin, Thomas VDB, mais atrocement trop long et pas bon camarade.

À un moment, pour dire, j’ai senti la tête de ma Kéké tomber sur mon épaule : ils avaient quand même réussi à endormir la plus grande amatrice de chanson française au monde ! Je lui ai caressé doucement les cheveux, surtout ne pas la réveiller. Puis il y eut, vers la fin, une jeune flamande douée nommée Selah Sue, qui chante du raggamufin en anglais, avec une voix à la Amy Winehouse, et une choucroute sur la tête, donc. Je sais que le général Tioum l’aime, qu’Emma doit bien l’aimer aussi, qu’elle a fait “La Musicale”, donc je ne vais pas en dire du mal. Je n’en pense même pas. Je m’en fous.

Mais sans doute ne suis-je pas objectif.

Disons ça.

ADDENDUM/ Selon mes sources, il y a donc eu un long combat au sein du jury pour désigner le vainqueur : cela s’est joué entre Alex et notre amie flamande à choucroute. La choucroute a remporté le Prix Constantin. Philippe Constantin. Très très grand producteur, qui a lancé (avec notre Sylvie, et entre autres) Noir Désir, Bashung, Téléphone, Eicher, Daho, les Rita, et cent autres. Des fois, vraiment, on aimerait réveiller les morts. Ne serait-ce que pour leur demander leur avis.


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5 commentaires

  1. Tioum dit :

    Sur cette question je crois que je ne suis pas très objectif non plus..! En revanche je suis un peu surpris puisque je pensais que le prix Constantin avait été créé pour mettre en lumière des artistes moins médiatisés et n’ayant jamais été disque d’or. Vous avez dit bizarre ?

  2. mireille aranias dit :

    Tu ferais hurler de rire un mort, j’ai déjà relu 4 fois ton texte, je ris aux larmes; gaetan Roussel, m’insupporte, sa voix, ce qu’il raconte, son look, bref… J’ai un peu plus d’indulgence pour B.B. qui a écrit de belle chansons pour sa fille, c’est vrai qu’il assez prétentieux quand à la flamande, elle formidable, choucroute ou pas et les Brigitte, je les trouve très fun, surtout quand elles chantent du Joey Staar, ma benz…. Tant mieux que tu n’aimes pas ces gens, on aurait pas ce texte désopilant et pas du tout politiquement correct. Tu me remonte le moral. Bises Mireilles

  3. mireille aranias dit :

    sorry, je riais trop pour me relire, du coup il y’a des fautes d’orthographe, quand j’écris à la main cela n’arrive jamais, quand je suis sur mon computer, j’oublie.

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