Le jour de la mort de Brassens

J’ai enregistré hier soir l’excellent documentaire sur Brassens de mon copain Didier Varrod, je l’ai regardé cette nuit. J’étais très ému en le voyant – très fatigué aussi.

Je me souviens de la mort de Brassens, je me souviens de cette année 81. L’élection de François Mitterrand, et la mort de Marley, le lendemain, qui est venue tout gâcher ; l’assassinat de Sadate en septembre, la mort de Brassens en octobre, le 29, un jeudi.

1981, nombre de personnes qui me sont chères n’étaient pas encore nées, allaient naître, moi j’étais déjà grand, un petit gars de quatrième ou de troisième, je commençais la guitare, je chantais à l’Opéra. En juin de l’année d’avant, j’avais chanté pour la venue de Jean-Paul 2 au Bourget, étais devenu copain avec un des videurs, qui nous avait filé des invites pour la venue de Bob Marley le mois suivant. Grâce à ce privilège, nous l’avions approché de très très près, et pour les gamins de treize ans que nous étions, même plutôt dégourdis, cela avait été un choc, bien plus que d’avoir été tripotés par le Saint-Père quelques semaines auparavant — je dis ça pour faire un mot, d’un goût assez moyen, même s’il m’avait touché les cheveux.

L’année 81 je n’ai donc écouté que du reggae, et Brassens, en apprenant à jouer de la guitare – le reggae était bien plus simple. Je ne pensais pas que Marley pouvait mourir, que Brassens pouvait mourir, je ne pensais pas que Mitterrand pouvait être élu président. Mitterrand, encore, bon, il était déjà vieux, c’était la troisième fois, mais Brassens, et Marley : 60 ans pour l’un, 36 ans pour l’autre. Ils étaient bien trop jeunes.

Je ne garde pas d’agendas, je mélange les années, je me fous un peu du temps, qui ne fait rien à l’affaire, non. Cela s’est passé hier, ou bien il y a longtemps, cela n’a pas d’importance. Mais le jour de la mort de Brassens…

Avant de connaître Brassens je faisais semblant d’être communiste – un peu pour emmerder mon père, un peu par convictions. Nous fréquentions avec ma bande les Jeunesses Communistes d’Argenteuil – dont le dénommé “Gros Phoque” était un des leaders. Garçon ô combien sympathique, qui avait comme particularité de haïr ceux de Colombes – donc nous – au point que nous dûmes souvent rentrer à quatre sur un 103 SP pour éviter ses foudres (notons que, contrairement à ce que pouvait laisser penser son pseudo débonnaire, le garçon mesurait deux mètres, pesait cinq cents kilos, et n’aimait rien mieux dans la vie que de faire saigner les êtres humains – au sens littéral du terme).

Puis j’ai rencontré Brassens, et je suis devenu anarchiste.

Très honnêtement (comme disent mon Christophe et mon Fred) je ne crois pas avoir tellement changé depuis. “Anarchiste” est un bien grand mot, qui n’a plus de sens, mais disons que sa pensée, réfractaire, et non-dupe, ne m’a jamais quittée. Je voterai François Hollande – ne vous inquiétez pas, c’est promis – mais si je m’écoutais vraiment je ne voterai jamais, je ricanerai dans un coin, sans espérer aucun changement, aucun Grand Soir, sinon ceux que l’on passe avec les gens qu’on aime, en chantant des chansons et en buvant des coups – la personne que l’on aime, même sans rien faire du tout.

Le jour de la mort de Brassens j’ai perdu un modèle, pas forcément de vie mais de pensée, comme des millions de personnes. Je me demande ce qu’elles sont devenues. Pourquoi ne les entendons-nous plus ? Pourquoi cette pensée s’est diffuse au point que, depuis que Desproges est parti, elle a même disparu ? Pourtant c’était une belle pensée, une belle philosophie, dérangeante, compliquée, insolente, ingérable, mais joyeuse, humaniste. Je sais qu’il ne faut plus employer le mot “humaniste” depuis que la droite s’en est emparée, et quelle droite ! Pourtant c’est un joli mot, qui ne leur appartient pas, qu’ils ne voleront jamais.

Le jour de la mort de Brassens j’ai pleuré comme un enfant – ce que j’étais, d’ailleurs.

Aujourd’hui je suis grand, je ne pleure plus jamais.

ADDENDUM/ Pour voir ou revoir le documentaire cliquez . Vous ne le regretterez pas.


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4 commentaires

  1. Carine dit :

    Le jour de la mort de Brassens, c’est la tristesse de papa dont je me souviens, sa tristesse le jour de l’enterrement. Tout me semble daté d’hier tellement les souvenirs sont nets.

  2. Eve dit :

    Desproges : « Le jour de la mort de Brassens, j’ai pleuré comme un gamin. Le jour où Tino Rossi est mort, j’ai repris deux fois des moules. »

  3. mireille aranias dit :

    Brasssens, nous l’écoutions avec mon père chéri qui aimait tellement la délicatesse,la poésie et aussi le gorille etla peau de vache. Je l’ai vu sur scène, des yeux magnifique, une grande bonté, une timidité craquante. J’ai vu le documentaire et j’ai pleuré et chanté. Lesmots sortaient tout seul. J’ai découvert que je connaissais toutes les chansons du grand Georges par coeur. 1981, c’est la naissance de ma fille adoré, Laura et Mitterand au pouvoir.C’est louche ton histoire avec le pape …. Mireille

  4. Guilhem SALTEL dit :

    Contrairement à ce que l’on peut lire ci dessus, Georges Brassens n’est pas mort, et surtout n’est pas près de mourir … ! GS

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