Rien de rien

Je ne lis plus jamais les interviews d’actrices – pourtant, il y a quelques années, cela m’amusait beaucoup. Je me souviens de très bons moments de rigolade à lire les “leçons de vie” distillées par certaines, dans le ELLE, notamment – elles étaient longues, c’est pour cela. Je ne citerai pas le nom de ces actrices, vous les devinerez – toutes n’avaient pas ce sens comique à leur insu, je ne fais pas de généralité, certaines étaient intéressantes (et j’en ai suffisamment interviewées moi-même pour savoir). Comme je ne citerai pas le nom des camarades avec qui nous nous en régalions – certains sont toujours en activité, éminents journalistes, cadors dans leur domaine. Ils m’en voudraient sûrement et je ne cafte pas, du moins ce genre de bêtises.

Tout à l’heure, en regardant les actualités sur Yahoo, je suis tombé sur cette phrase : “Non, je ne regrette rien”, accroche d’un entretien journalistique probablement palpitant qu’une comédienne donna à je ne sais quel journal ou site. Là encore non, je ne dirai pas laquelle, et pourtant j’avais de bonnes histoires. Mais inutile, n’insistez pas, je suis une tombe.

Lorsqu’on lit un tel lieu commun, assené avec tant d’assurance, aussi con et péremptoire soit-il, il arrive parfois, sous le coup de la fatigue, que l’on se renvoie l’adage : serais-je capable, moi aussi, de dire cette phrase : “Non, je ne regrette rien”, la penserait-on seulement ? Il vous revient alors, sans même que vous vous en rendiez compte, une foultitude de faits, dont vous n’êtes pas très fier, liés à cette question, lancinante et sournoise : “Referai-je ces actions ? Ai-je assumé ces choix ?” Bien plus malin et sage que moi saurait répondre à cette question – et je n’ai aucun souci à être moins sage et bien plus con qu’une comédienne vedette. Seulement je n’ai pas de réponse, je ne sais pas. Oui d’un côté et non de l’autre. Comment peut-on répondre à ça ? Comment peut-on être sûr, sinon en étant gland ? Les choses se sont passées ainsi, les choix à ce moment furent ceux-là. Les regrette-t-on ? Certains, bien sûr. Mais regretter ou ne pas regretter n’y changera pas grand chose.

Je ne parlerai évidemment pas de ma vie privée ici – j’en parle suffisamment je trouve, même si entre les lignes – mais dans ma vie professionnelle, fut-ce vraiment différent ? Je regrette d’avoir, il y a vingt ans, écrit pour la publicité, un slogan et trois vannes pour la marque Lucky Strike (que je n’ai jamais fumée), mais je ne regrette pas l’argent que j’ai gagné, et dont j’avais besoin alors. Je ne l’ai jamais refait, cela dit, et j’ai re-eu besoin d’argent.

“Je ne regrette rien”… Elle est bizarre, cette phrase… Comme si la vie était un tout… “Ni le bien, qu’on m’a fait, ni le mal / Tout ça m’est bien égal”… Ce sont des paroles de chansons, de la poésie, il ne faut pas les prendre au mot. Qui regretterait le bien qu’on nous a fait ? C’est idiot… Et ce bien est-il égal au mal ? Évidemment non… “C’est payé, balayé, oublié / Je me fous du passé”… Sans déconner, Édith… Et je t’aime beaucoup, vraiment, ne le prends pas personnellement – je pense même utiliser une de tes chansons dans ma prochaine pièce, pour te dire… Mais qu’en penserais-tu toi, si tu apprenais que les paroles de tes chansons sont devenues des “leçons de vie” ? Tu te marrerais, non ? Avec ton grand rire gras, en reprenant un bourbon… Puis tu verrais le film qu’on a fait sur toi et tu te sifflerais la boutanche… (dit-il en ayant écrit le “Coluche”, qu’il ne regrette pas d’avoir écrit, puis coécrit, vraiment pas…)

Tout ça est tellement compliqué…

C’est peut-être cela qui me dérange, quand les gens essaient de faire simple, de faire comme si la vie était simple. “Non, je ne regrette rien”. Emballé c’est pesé, on passe à autre chose. Est-ce qu’ils y croient vraiment, les gens, est-ce qu’ils sont vraiment dupes ? Est-ce que les psys existeraient encore s’ils y croyaient à ce point? Ne vaudrait-il pas mieux dire les choses autrement, dès le début, dès l’enfance : la vie c’est vraiment compliqué, chacun tentera de faire de son mieux, se démerder le moins mal possible, en étant la meilleure personne. Peut-être que les enfants seraient moins de droite, du coup.

Le sujet d’une prochaine chronique : “Tous les enfants sont de droite”. Une très vielle théorie que j’ai. Un bon titre.

ADDENDUM/ Par exemple, cette année, et je ne vais pas le cacher, quand ma vie est très compliquée, quand je dois faire des choix, quand tout s’emballe autour de moi, je mets la vie en attente et je me réfugie sur ce blog, je décide d’écrire un papier. Tout le monde devrait avoir un blog, en fait… Cher journal…  Mais, d’une manière ou d’une autre, tout le monde fait ça depuis toujours, non ?


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2 commentaires

  1. Carine dit :

    J’ai lu aussi cette news… actrice qui disait l’inverse en plateau télé 3 jours plus tard …
    Et les leçons de vie des acteurs, tel Bruel qui s’appropriait à chaque fois qu’il avait un micro devant lui  » J’aime mieux avoir des remords que des regrets », sans citer l’auteur…
    Quant à la théorie  » tous les enfants sont de droite », ça m’a fait penser à un article tenu par une blogueuse qui accompagnait sa petite dernière le jour de la rentrée : » Après trente secondes à faire écran entre ma fille et un petit garçon menaçant d’entrer en éruption à force d’hurler, j’ai finalement décidé de m’éclipser, constatant que Rose se foutait éperdument du désespoir de son petit camarade (je crois qu’elle est de droite). Elle m’a gratifiée d’un laconique « à tout à l’heure » et c’était plié »

  2. Tayebot dit :

    Bonjour,
    Ce que vous dîtes sur ce que l’on devrait dire aux enfants, que juste vivre c’est déjà pas mal compliqué, tout ça, j’aime beaucoup. Et je pense comme vous qu’ils sont de droite, ces adorables petits cons, même (surtout) le mien. J’ai hâte de lire le développement de votre théorie.
    Bien à vous,
    T.

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