Va-nu-pieds

Je me suis toujours dit qu’un jour j’écrirais quelque chose dont le titre serait “Va-nu-pieds”. Je trouve que c’est un très beau mot.

En écrivant cela, et ce n’était pas prévu, je repense à ce petit monologue de Gilbert, dans En Beauté, justement – “En Beauté” est le nom de ce blog, aussi celui d’une de mes vieilles chansons, et le titre d’un autre de mes écrits (oui, j’ai décidé dorénavant de faire comme faisait Brautigan, d’appeler tous mes textes des écrits, et peu importe que cela soit du théâtre, du cinéma, de la poésie, un roman, une chronique, j’ai décidé de faire genre, de me la péter un peu). Dans l’écrit nommé En Beauté, donc, le personnage, intitulé Gilbert, vers la fin du texte avoue ça : “Quand j’étais plus jeune, j’adorais les filles qui marchaient pieds nus dans la rue. J’avais une copine qui faisait ça, elle portait des turbans, des tuniques, et elle marchait toujours pieds nus. J’avais envie de lui sauter dessus tout le temps. Maintenant ça ne m’excite plus du tout. Je pense à la merde des pigeons, à la pisse des chiens, aux crachats des hommes, à toute cette crasse qui s’accumule sous ses pieds.”

On change. On change et en même temps on ne change pas.

Mon Richard a dit ça tout à l’heure, “la saison des pieds nus” il a dit, une expression jolie. Il parlait du soleil, des chaussures, des sandales, des chaussettes envolées, des collants disparus, des filles qui nous amenaient le printemps. J’ai regardé les pieds de cette jeune femme, sur mon canapé, ses chaussures les laissaient entrevoir. Il a fait très beau temps, à Paris, aujourd’hui.

Je repère beaucoup de choses chez les gens, des choses physiques entre autres, je ne le fais pas exprès, je ne me dis pas qu’il faut que je repère, que je note, que j’observe, mais je repère, je note, j’observe. Les pieds, les mains, les nuques, les nez, tâches de rousseur ou grains de beauté, je repère ça chez les gens, chez les filles notamment, mémoire photographique, celles que je connais bien, même celles que j’entrevois, les tatouages ou les brûlures, les cicatrices. Ensuite je n’oublie plus, je sais, je vois, même si je n’ai vu qu’une seule fois.

Il y a la théorie, et il y a la pratique. Une jolie main, un joli nez, une jolie nuque, un joli pied, dans l’absolu, et puis il y a la main, le nez, la nuque, le pied, de celle que vous aimez, que vous avez aimée, de celle que vous aimerez. Le rapport au corps. Très peu de personnes en parlent, finalement, ou seulement pour le cul, pour la baise, mais je ne parle pas de baiser, là, je parle d’être ému par un corps, je parle d’intimité, je parle d’un pied dans une sandale, d’une main sur le bras d’un fauteuil.

Il y a la théorie, disais-je. Je préfère les brunes ou les blondes, les nez ainsi, les cheveux là, je préfère les gros seins, les petits, je préfère les sexes épilés, ou nature, j’aime quand la femme est ronde, j’aime quand elle est menue, les petites ou les grandes, culs felliniens, culs androgynes, yeux bleus, yeux noirs, yeux verts, yeux jaunes, baobabs ou brindilles. Chacun fait comme il sent, comme il peut, comme il croit. Mais tombe-t-on amoureux d’une couleur de cheveux, d’une taille de soutien-gorge, d’une coupe de pubis ? En théorie sans doute.

Je pourrais, pour ma part, extrêmement facilement, vous définir un goût, un goût en théorie, en matière sexuelle, mais qui, dans la pratique, en matière amoureuse, s’est tant révélé faux. Car arrive toujours un moment, dans la vie, où un pied, une main, un sexe, une nuque, et bien évidemment une peau, un regard, une odeur, vous casse les pattes arrières, remet tout en question. Pas pour tirer un coup. Pas pour se faire sauter.

Mais je parlais sandales, mais je parlais printemps.

Submergé me voilà par une envie immense d’écrire des choses intimes, intimes et amoureuses, mais malheureusement je ne peux, comme disait le grand Georges. Et pas seulement parce que les gens que j’aime, qui m’aiment, me lisent, que mes parents me lisent, qu’un blog a ses limites, que je ne veux pas gêner.

C’était un pied, voilà, dans une chaussure.

Un pied nu.

Le printemps.

ADDENDUM/ La jolie personne blonde que j’ai mise en photo s’appelle Cate Blanchett. Je l’ai vue ce soir au Théâtre de la Ville dans la pièce de Botho Strauss intitulée “Big and small” – magnifiquement mise en scène par Benedict Andrews. Je pourrais faire très très long, je vais faire court. C’est une comédienne exceptionnelle. Exceptionnelle. Ce qu’elle fait sur scène dans cette pièce, pendant deux heures trente, est une leçon, une master class, une démonstration de talents, de sincérité, d’audace, de générosité, de drôlerie, d’invention, de profondeur, de technique. Il y a tout, tout et plus. La pièce se joue jusqu’à dimanche. Si par chance vous pouvez y aller, vous vous en souviendrez je pense, comme je m’en souviendrai je pense, jusqu’à la fin de votre vie.


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2 commentaires

  1. « la saison des pieds nus », j’adore cette formule, j’adore cette saison, j’adore ce billet, c’est plaisant de te lire de bon matin, toujours. Merci.

  2. mireille aranias dit :

    tu es revenu, c’est bien, tu manquais. Très joli texte sur les femmes coupées en morceau. Tu semble aimer toutes les femmes, cela m’a fait bien sûr penser à la célèbre chanson de Jacques DUTRONC :  » J’aime les femmes qu’on voit dans Elle, j’aime les femmes de St Tropez etc…. Je regarde souvent les hommes comme toi, les mains, la nuque, les yeux bleu de préférence et le sourire. Pour moi les plus belles mains d’hommes sont celles de Jeff Bridges et pas que ça. Cate Blanchett est parait -il sublime dans cette pièce théâtre. à bientôt Mireille A.

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