Foi

À la question : “Quel est le mot que vous détestez le plus ?”, Salman Rushdie, au début des années 90, répondit “Religion”, et à “Quel est celui que vous préférez ?”, il répondit “Comédie”.

J’ai terminé ce matin tôt son dernier livre, “Joseph Anton”, le jour se levait. Longtemps que je n’avais pas lu de livre aussi gros, intense, avec un tel acharnement, un tel amour, longtemps qu’une lecture ne m’avait pas donné aussi foi en l’homme et en l’art, longtemps que je n’avais pas de nouveaux noms à ajouter à la question : “Quels sont vos écrivains préférés ?” Il est certain, dorénavant, que “Salman Rushdie” sera dans ma réponse.

Tout me plaît chez cet homme, son honnêteté et ses faiblesses, sa lucidité, son intelligence, et bien évidemment son style, merveilleusement traduit par Gérard Meudal. Une écriture foisonnante et limpide, précise, qui va toujours au but, avec un sens du rythme et de la mélodie que l’on devine même en français.

L’histoire, bien sûr, est fascinante : c’est celle d’un condamné à mort, injustement jeté aux chiens, qui va se battre pour survivre, faire entendre raison, triompher à la fin, et ne pas se venger.

Au-delà de l’histoire, palpitante, bouleversante, de ces centaines d’anecdotes insensées, de cette vie hors du commun, du fameux « c’est l’histoire d’un homme ordinaire à qui il arrive quelque chose d’extraordinaire », tant vanté par les producteurs, mais qui ne débouche les trois quarts du temps que sur du vide, c’est l’écrivain qui m’a bouleversé, la sincérité folle avec laquelle il raconte son histoire. C’est la forme et le fond. C’est le corps. C’est le cœur.

C’est difficile d’être sincère quand on écrit. Je le sais depuis tant d’années. Même à ce petit niveau qu’est un blog, un journal, rares sont ceux qui jouent vraiment le jeu. Ou bien c’était avant Internet, journaux exclusivement intimes, publiés à la mort, “Le Monde d’hier”, “Le Métier de vivre”, Sylvia Plath et consorts.

Au sujet d’Internet, dont il ne dit d’ailleurs nul mal, Rushdie fait, à la fin de son livre, une réflexion très troublante, il réalise qu’en substance, si Internet avait existé – tel qu’il existe aujourd’hui – à l’époque où sa fatwa fut lancée (le 14 février 1989, jour de Saint-Valentin), il serait mort depuis longtemps. Et il est clair qu’il n’a pas tort.

L’écriture, oui. Des fois ça vous prend toute une vie. Être un écrivain. Certains essaient un peu, mais c’est trop dur, ça fait trop mal, d’autres voudraient essayer mais… pfft, oui, finalement non… Et la plupart font semblant, quelques années, pour prendre un peu d’argent, seulement ça se voit, tout le monde le sait, plutôt aller passer dans le poste, cela est tellement plus gratifiant, et ça rapporte du blé, et comme les gens sont cons, de toute façon…

Et puis l’art, l’écriture…

Être un écrivain. Pendant longtemps je n’ai jamais prétendu l’être. Je disais auteur, je disais “j’écris”. Et puis un jour, tard, j’ai eu le sentiment de l’être devenu – au moment où je commençais à faire du théâtre et des films, en plus, juste pour exaspérer. Mais je n’ai jamais eu peur, de l’impudeur, de la douleur, du dire, de la sincérité, du “ceci est mon corps / ceci est mon cœur”, même si je fais extrêmement attention. Je crois maintenant savoir où la beauté se situe, je me bats pour lui gratter le genou, lui effleurer la cuisse – un jour lui toucher le sexe, oui, comme Rushdie l’a touché, caressé, l’a fait jouir.

Je hais le mot “Religion” autant que Salman Rushdie. Et j’aime autant le mot “Comédie”. Je n’ai pas peur de grand-chose, sinon de perdre cette foi, que j’ai perdue parfois, celle en l’art et en l’homme. Que je perds en ce moment. Accablé comme chacun par tant d’avidité, de bêtise, de mensonge, d’injustice et d’horreur.

Aussi suis-je reconnaissant à ce livre, à cet homme, de redonner goût et envie, foi, comme le sublime spectacle de mon ami Sidi Larbi Cherkaoui, intitulé ainsi, Foi, et qui devrait – je crois d’ailleurs l’avoir déjà écrit – passer un soir, sur toutes les télévisions du monde, toutes les chaines, à la même heure, pour rendre le monde meilleur.

Comme tout le monde devrait lire ce livre.

ADDENDUM/ Non.    


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3 commentaires

  1. ben moi quoi! dit :

    longtemps… trop longtemps que je n’ai pas lu jusqu’au bout de la nuit!!! Quel kiff! je te jure Disatème, dussé-je ne plus tenir debout pour emmener ma fille à l’école et enchaîner sur le taf’… je vais le faire … TRES vite !!!! urgentissimement vite!
    stf

  2. GABRIEL dit :

    Cher ami,
    Beau billet!
    Foi de Gabriel….

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