Les gens bien

Pendant longtemps il m’arrivait de dire de quelqu’un, c’est une belle personne. Malheureusement, depuis “Les petits mouchoirs”, je ne peux plus. Comme je ne peux plus employer le terme “être humain”, parce que Jeanne déteste, et qu’elle m’envoie des tombereaux d’insultes par texto à chaque fois que je l’écris quelque part.

On se souviendra / De ceux qui commettent un crime, un jour / De tous ces chasseurs de primes, et puis / Oublier la vie / D’un homme extraordinaire

C’est une chanson des Innocents que j’aime bien, Un homme extraordinaire, sur cet album splendide, “Fous à lier”.

Les hommes sont rarement bien, pas extraordinaires. Ces derniers temps j’en ai connu des bien pourris, décevants, atroces. Des femmes aussi, beaucoup, et c’est encore plus pourri, décevant, atroce – je n’aime pas la parité dans ce cas. J’avais toujours pensé que les femmes étaient meilleures, et je m’en excuse auprès des féministes. Je pensais que les femmes avaient plus de cœur, de droiture, de bon sens. Je pensais que les hommes étaient globalement des gros cons, mais je n’aurais jamais dit ça des femmes. Maintenant je ne dis plus rien, je n’ai plus d’avis. Je tais ma gueule.

Cinquante-cinquante.

Je pense à ces discussions sans fin, sans fond, sans rien, sur les artistes. Hier c’était sur Céline, aujourd’hui sur Kechiche – comparaison abrupte, oui, injuste, mais vous voyez l’idée. Peut-on être un grand artiste quand on est un sale con, quand on se comporte comme un sale con ? Et un sale con aux yeux de qui ? Hier je disais oui, sur Céline, parce que c’est un écrivain gigantesque, un génie, parce que malgré toutes les horreurs qu’il a pu écrire, il n’a jamais tué personne,  et il continuait à soigner, même les juifs, tout en écrivant ses horreurs. Mais Céline c’est Céline, une époque, un génie, un salaud. Kechiche n’est pas un génie, c’est un très bon réalisateur, comme Dieudonné est un très grand humoriste, sans doute le plus brillant, le plus fou, mais bon, cela excuse-t-il tout ?

Aujourd’hui je ne sais plus. Et je crois que je m’en fous.

Aujourd’hui, pour le temps qui me reste, je préfère les gens bien. Ceux sur lesquels, au moins, on ne se pose pas de questions.

L’art ne durera pas longtemps, dans quelques dizaines d’années, tous seront oubliés, et je parle là des célèbres. Pour dévorer en ce moment des journaux du XIXème siècle, ceux de Berlioz, de Jules Renard, des Goncourt, je vois comme tout ça est futile, comme la moitié des noms cités nous ne les connaissons plus, les trois-quarts, ceux qui défrayaient la chronique. Et Internet n’y changera rien. Ou pour mémoire, des citations, comme celle-ci, de Camus : “Le peu de morale que je sais, je l’ai appris sur les terrains de football et les scènes de théâtre”. Je suis content qu’Albert soit mort, qu’il ne voit pas ce que sont devenus le football et le théâtre, des horreurs, si souvent, sans morale, et la presse, qu’il aimait tant aussi, à laquelle il croyait si ferme. Camus était un génie, et Camus était un type bien, mon ami, mon idole, le voisin de ma grand-mère à Alger. Un homme extraordinaire. Comme quoi cela est possible. J’ai beaucoup repensé aux “Justes” ces derniers temps, pour raisons personnelles – mes “cons de Justes” (je t’aime Gérard Gélas) – et si je meurs demain, bizarrement, avoir monté cette pièce restera ma fierté, mon honneur. Mon nom est associé au sien, je suis dans sa Pleïade, je peux mourir tranquille.

J’ai la chance d’en avoir près de moi des gens bien, de pouvoir compter sur eux, comme ils peuvent tous compter sur moi, et c’est une très grande chance. Les autres sont une perte de temps. Les autres il faut glisser, et/ou mettre des gifles, et/ou mettre des gifles et glisser.

Ce qu’il y a de formidable toujours, dans la vie, c’est que nous ne sommes jamais à l’abri de rencontrer quelqu’un de bien. Ce qui est fou, oui, et surprenant. Le plus incroyable, finalement, c’est que des gens encore, parfois, souvent, soient des gens bien, des belles personnes (pardon Guillaume) ou des êtres humains formidables (pardon Jeanne).

On n’est pas à l’abri d’une surprise.


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5 commentaires

  1. On est là toutefois, on est restés pour eux…

  2. On est là toutefois… on est restés pour eux.

  3. Anna dit :

    Rien ne compte plus que la noblesse de cœur, me semble-t-il. A force d’être entourée de cons, d’égocentriques, de ceux aux dents qui rayent le plancher et dont seuls l’argent et le pouvoir comptent, il ne reste dans mon entourage que les loyaux, les humbles, les doux. C’est carrément mieux. : )

  4. thomas dit :

    Petite leçon de grammaire pour commencer à ceux qui pensent comprendre le film sans même l’avoir vu. Un français donc.
    wiki « En grammaire, un article indéfini (un,une) est une sous-catégorie de déterminant indéfini, qui participe à l’actualisation du nom noyau en indiquant simplement que le représenté, le référent (la chose, l’animal, la personne dont il s’agit), existe bien, mais demeure inconnu des actants de l’énonciation : c’est l’outil type de la détermination incomplète. Il s’oppose ainsi à l’article défini, qui lui, présuppose que le référent soit connu des actants de l’énonciation. »
    La détermination incomplète donc. Il ne s’agit donc pas « du français » ou « le français », comme définition de tous les français. Mais bien de l’histoire d’un d’entre eux, dont on ne connait rien pour le moment, puisque aucun d’entre nous n’a encore vu le film…
    Alors pour ma part en tout cas, je suis curieux de voir ce film, et j’espère que le distributeur retrouvera ses esprits, et son courage, pour diffuser ce film. Tous les films peuvent être critiqués, mais tous méritent d’être vus avant. Et tout ce qui crée du dialogue est bon dans mon esprit. Du dialogue, comme dans écouter l’autre avant de parler. Mais bon je vais pas reprendre pour finir ici un cours de grammaire…
    Bon courage à toi sur ce chemin Diastème. J’espère que ce film pourra être vu comme je le souhaite à tous les films.

Répondre à marc-henri lamande

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