L’Histoire de la Musique

C’est Beth Ditto qui m’a donné l’idée. Cela me courait depuis quelques semaines. Avant de partir à Avignon, le Général Tioum (chef d’état-major de ce site, et de plein d’autres choses dans ma vie – mais lui n’a pas démissionné encore) est passé à la maison pour régler un problème sur ce site. Je lui ai dit que j’avais envie de réécrire cet été, vu que je n’étais ni en prépa ni en tournage, que j’avais un peu de temps. — Mais tu n’as pas quatre scénarios à écrire cet été ? m’a-t-il dit. — Si, lui ai-je répondu, vexé, mais un “scénario” ce n’est pas de la littérature, ce n’est pas de l’écriture, ce n’est pas comme un journal, un roman, un récit, un poème, une chronique ! — Mais pourquoi tu t’énerves ? a-t-il fait.

Cela devait me démanger. Cela évidemment me démange. Et me manque. L’impression de ne plus écrire que sur les Le Pen dans ce blog, sur l’extrême droite, ou faire la promotion de mes films. Actions louables, je ne dis pas, mais bien loin d’une époque, pas si lointaine que ça, où j’étais encore écrivain. Des romans, du théâtre, des chroniques, et avant des articles, des critiques, des enquêtes, des portraits. Un ami me disait que j’avais dû écrire, à mon âge, trois ou quatre fois La Bible. Je n’ai pas démenti, cela devait être le cas. J’ai commencé à calculer… Et puis il était tard, et j’ai repris une bière.

La première fois que j’ai vu Beth Ditto, c’était dans l’ascenseur de l’Olympia, nous n’étions qu’elle et moi, elle mangeait un sandwich au thon (je m’en souviens à l’odeur) et il devait être midi. Voilà ce que j’ai pensé en écoutant le nouvel album de Beth Ditto, il y a deux ou trois heures. Voilà ce que j’ai eu envie de raconter, des souvenirs, des images, des moments de vie qui m’ont marqué. Et sur un blog, oui, pas dans un livre. Pas pour me faire payer, pas pour “vendre”, pour “l’honorable plaisir d’écrire”, de partager – ce qui m’a fait connaître en somme, ce qui m’a fait vivre tout ce temps, ce qui m’a rendu heureux, et fait ressentir des choses folles. Raconter ces choses folles, avant que je sois gâteux, avant que j’ai besoin d’argent, de monnayer mes souvenirs – avant d’être vieux, surtout. Avant, aussi, peut-être, de ne plus être que réalisateur de films, ou auteur et metteur en scène de théâtre, scénariste – plus jamais écrivain.

Tout est à cause d’Emma de Caunes, en fait, mon amie. C’est Emma et Frédéric Andrau qui m’ont entraîné au théâtre, sans eux je n’aurais été que l’auteur de La Nuit du thermomètre, pas le metteur en scène. C’est eux qui m’ont demandé. Et c’est elle qui, longtemps plus tard, alors qu’on lui proposait d’animer une émission sur Canal Plus, qui s’appellerait La Musicale, m’a demandé de venir l’aider à la faire. Elle lisait mon travail quand j’étais journaliste, avant même que nous nous connaissions, elle savait qu’à la base je devais être musicien et, surtout, nous étions devenus des amis – en plus, l’émission était produite par Arielle Saracco, avec qui j’avais commencé à écrire dans 7 à Paris, quand j’avais vingt ans, laquelle est venue me chercher plus tard pour écrire dans 20 ANS, justement, une très chère amie, que je ne vois pas assez. De la musique et des amis, comment aurais-je pu refuser ? Et le moment m’arrangeait bien, c’était plutôt une sale période, après Le Bruit des gens autour, mes projets de films ne se montaient pas, j’étais très heureux au théâtre, j’enchainais les pièces, oui, mais je voulais refaire un film. Seulement rien ne prenait, ne se montait, ne se tournait. Ces années où vos films se développent, mais s’arrêtent en prépa, parce que le distributeur se retire, ou que Canal ne suit pas, que le CNC vous jette : tous les réalisateurs connaissent ça.

J’ai aidé Emma à faire La Musicale pendant deux ou trois ans, je ne sais plus. Cinq ou six émissions par an. Ça a été un très grand bonheur. Deux ou trois jours avant l’émission nous nous réunissions, elle et moi, on écoutait les disques, on travaillait sur les chanteurs, la bio des invités, on imaginait des questions, des réponses, des happenings, et puis le dernier jour, après avoir regardé les invités jouer lors des répètes, dans ce studio de la Plaine-Saint-Denis, on écrivait un petit prologue, un sketch d’introduction comique, ou pas comique, cela dépendait.

Pour qui vient de la musique, comme moi, musique classique d’abord et rock’n roll après, chanson française enfin, cela a été un très grand privilège de travailler sur cette émission, avec toute cette équipe, l’immense Don Kent à la réal, et l’homme Stéphane Saunier à la programmation – qui n’a rien raté des grands groupes, des mouvements, des génies, depuis tout ce temps qu’il s’occupe de la musique à Canal, de Nulle Part Ailleurs à La Musicale, et aujourd’hui encore à L’Album de la semaine. C’est grâce à lui, grâce à eux, que j’ai pu les voir tous, du moins ceux de cette époque, Beth Ditto et son sandwich au thon (pour une spéciale à l’Olympia), Amy Winehouse, encore en forme, et stupéfiante – je me souviens qu’à sa première répète nous étions les seuls dans la fosse, Emma et moi, alors qu’on réglait les lumières, à l’écouter chanter, à la regarder faire, absolument bouche bée, dévastés par tant de grâce, même si elle avait l’air vraiment très défoncée. Je me souviens qu’elle portait des ballerines, des Repetto je crois, je ne crois pas je suis sûr, des Repetto Bolchoï, comme celles dont j’ai parlé, quelques années plus tard, dans Un Scène.

Je me souviens d’Alain Bashung, aussi, tellement. Sa présence ces deux jours, ce moment où je l’ai surpris, en sortant des toilettes, alors qu’il remontait sa braguette, devant la porte de notre loge; ce regard que nous avons échangé, son sourire, ces deux mots – nous savions qu’il était malade, pas à ce point.

Je pourrais faire une liste longue, sachant que, toujours, les meilleurs moments étaient ceux des répètes, quand nous étions, Emma et moi, seuls avec quelques techniciens dans la fosse, pendant que l’on réglait les sons et les lumières, pendant que les groupes jouaient. Tel bassiste incroyable, tel batteur incroyable, telle section de cuivres de dingues ! Il y en a tellement eus, nous nous sommes tellement régalés, et mon Nem encore plus, elle pour qui la musique est une drogue, et qui a d’ailleurs rencontré son Jamie, quelques années plus tard, sur cette même émission – il était venu avec son groupe, Gorillaz, son pote Damon Albarn, mais moi je n’étais déjà plus là, parti sur de nouvelles aventures. C’est le Général Tioum qui m’avait remplacé.

C’est dans cette émission que j’ai rencontré quelqu’un qui allait devenir un ami, un ami très très cher. Grâce à Emma, encore. C’était une des premières émissions, peut-être la première, et Cali en était l’invité vedette. Je ne connaissais pas ses chansons, je ne l’avais vu que parler politique à la télévision, faire son show, je ne savais pas quoi en penser. Puis je l’ai vu sur scène, jouer – avec ses musiciens incroyables, comme Philippe Entressangle, plus grand batteur hexagonal, et qui deviendra un copain, qui jouera même dans Un Français ; et j’ai écouté ses chansons, et j’ai su qu’il était quelqu’un, grand auteur de chansons, grand chanteur, grand showman. Il n’y avait pas beaucoup de Français à La Musicale, il y avait juste les meilleurs, les “musiciens”, ceux qui avaient “vraiment” du talent. Je me souviens, entre autres, de Miossec, d’Émilie Simon, de Daniel Darc, de Keren Ann, de Camille avant qu’elle agace, d’Alex Beaupain bien sûr, de Bashung, et ce soir-là de Cali.

Après l’enregistrement de l’émission, il y avait toujours un petit verre, les artistes venaient, les maisons de disques venaient, l’équipe s’y détendait, moi j’y passais très vite. Mais, ce soir-là, Emma est venue me chercher : “Il faut que je te présente à quelqu’un !”, m’a-t-elle dit, avec ce petit sourire que je lui connais bien, quand elle prépare une connerie… Elle m’a présenté à Cali, et là, ce monsieur, que je ne connaissais pas, a semblé très ému, il m’a littéralement embrassé, puis il m’a parlé de mon travail, du Bruit des gens autour, mais aussi de mes pièces, de La Nuit du thermomètre, et aussi de mes bouquins, de 107 Ans, qu’il avait lu. Il connaissait tellement bien mon travail, Emma était tellement fière d’elle… Nous avons commencé à parler, dans le brouhaha de cette petite fête, et c’était vraiment très plaisant, flatteur, joyeux, je me souviens que nous avons discuté de Richard Brautigan et de Raymond Carver, je l’ai aimé tout de suite. Puis il m’a demandé mon mail, il voulait m’inviter, deux jours plus tard, à l’Olympia, pour son concert. Il avait une “surprise” à me faire, il m’a dit – et j’ai senti sur son visage le même sourire à connerie que mon Nem, la même très jolie joie de faire une chose qui va plaire.

Deux jours plus tard, j’étais à l’Olympia, blindé, avec ses fans, splendides. Après le deuxième titre il a pris son micro et il a dit : “Je dédie cette chanson à 107 Ans et à Diastème !” Et 2.000 fans ont applaudi, et l’Olympia a applaudi – ce qui est étrange, quand même ; puis il a chanté cette chanson, de son nouvel album, que je ne connaissais pas, qu’il avait composée après avoir lu 107 Ans : Je ne vivrai pas sans toi. Et je vous confirme – surtout quand on n’est pas prévenu, oui, que cela peut bouleverser.

C’était il y a, je ne sais plus, sept ou huit ans peut-être, depuis nous ne nous sommes pas quittés. J’ai réalisé un de ses clips, j’ai chanté sur un de ses albums, je l’ai aidé pour son dernier spectacle, et il fera la musique de ma prochaine pièce de théâtre, La Paix dans le monde.

Tout ça c’est grâce à la musique.

J’ai parlé avec Bertrand Bonello, il y a quelques jours. Je venais d’écouter sa musique, que je découvrais, et je lui disais bêtement qu’il était vraiment bon, qu’il devrait en faire son métier ! Il s’est marré et il m’a dit : “Tu sais, en fait, c’est la musique mon vrai métier !” Et cela m’a fait vraiment sourire, parce que moi aussi je dis ça, même si c’est de moins en moins vrai, même si je me plais à dire ça.

C’est la musique mon vrai métier.

Mais l’actuel me va très bien.

Je ne vais pas en changer tout de suite.

ADDENDUM/ Un jour, dans un Salon du Livre, il y avait, dans un stand, juste à côté du mien, un écrivain qui dédicaçait lui aussi son ouvrage. Le livre s’appelait L’Histoire de la Pologne. Et j’avais adoré cette idée, qu’un homme vous dédicace “L’Histoire de la Pologne”. Toujours eu envie de faire pareil. Je vais essayer d’en faire quelques-uns cet été. Et si je n’y arrive pas, ne m’en voulez pas trop. Ecrire des scénarios, parfois, aussi, c’est un travail.

 

 


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2 commentaires

  1. Nico dit :

    Tu en oublie juste les premieres années musicales que nous avons partagé… Tu n aimais juste pas mes arrangements)) Dommage.. J ai toujours tes textes… Je les rejoue parfois…

    • Diasteme dit :

      je n’ai rien oublié, mais on n’est pas obligé d’en reparler, non plus, on peut parler d’autre chose… j’espère que tu vas bien, je t’embrasse fort

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