L’important c’est d’aimer

J’aime beaucoup Catherine Deneuve. Elle n’est pas mon actrice préférée, je ne la connais pas, mais c’est une femme vraiment unique, avec une carrière magnifique, quelques rôles somptueux, et qui représente la France depuis plus de 50 ans, qui représente la liberté (l’égalité et la fraternité moins – mais ce n’est déjà pas rien de représenter la liberté).

C’est une femme intelligente et drôle, connue dans le monde entier, et qui se comporte – d’après ce que j’en sais tout du moins – extrêmement bien dans la vie, avec tout le monde, ce qui n’est pas le cas de toutes les “vedettes”, et j’emploie ce mot stupide à escient.

Il y a presque 47 ans de cela, elle était une des signatrices du “Manifeste des 343 salopes”, autrement nommées « Celles qui ont eu le courage de dire “je me suis fait avorter” ».

Le texte commençait par cela – c’était un texte très bien écrit, et je ne sais pas par qui :

“Un million de femmes se font avorter chaque année en France.
Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples.
On fait le silence sur ces millions de femmes.
Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir avorté.
De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l’avortement libre. ”

Et le texte finissait ainsi, par “Les 10 commandements de l’État bourgeois” (titre parfait) :

«  Très moraliste tu seras, car Dieu sait ce que “nos” femmes feraient si libres.
Fœtus tu préserveras, car plus intéressant de les tuer à 18 ans, âge de la conscription.
Grand besoin tu en auras car politique impérialiste tu poursuivras.
Toi-même contraception utiliseras, pour envoyer rares enfants à Polytechnique ou l’E.N.A. parce qu’appartement 10 pièces seulement.
Quant aux autres, pilule dénigreras, car il ne manquerait plus que ça. »

Je rappelle que ce manifeste date de 1971, et que la Loi Veil, autorisant l’avortement, ne sera votée que quatre ans plus tard.

Il y a plus de quarante ans de tout cela, mais l’impression que nous sommes aujourd’hui.

Combats simplement inversés. Ou presque.

J’ai une grande amie féministe, féministe militante – pas mon amie Femen, une autre, qui évidemment adule le manifeste précédent, et je viens de lire un texte qu’elle a écrit contre Catherine Deneuve – sachant que d’autres voix, dont celle de cette amie, s’étaient élevées contre cette grande actrice lorsqu’elle avait pris la défense, récemment, de Roman Polanski.

Je ne suis pas une femme, je ne saurai pas comment je réagirais, moi, si j’étais une femme, en lisant ce nouveau manifeste que Catherine Deneuve a cosigné, défendant la “liberté d’importuner” – jolie formule au demeurant.

J’ai connu, ma vie durant, suffisamment de personnes qui ont été victimes de violences sexuelles, allant de l’impensable à l’importun – et j’en ai vu les conséquences.

Je ne parlerai pas de ça.

Je sais seulement – en regardant la liste des signatrices de ce nouveau texte, très anti-féministe, qu’elle n’a pas la même gueule que celle des 343 salopes.

Pas de Simone de Beauvoir, pas de Marguerite Duras, pas de Françoise Fabian, pas d’Antoinette Fouque, pas de Marceline Loridan, pas d’Ariane Mouchkine, pas de Marie-France Pisier, pas de Christiane Rochefort, pas de Delphine Seyrig, pas d’Anne Wiazemsky.

À la place d’autres noms, que je respecte moins, pour qui je n’ai pas d’admiration, voire pour certains un peu de dégoût : Sophie de Menthon, Peggy Sastre, Catherine Millet, Brigitte Lahaye, et donc Elisabeth Levy, que j’ai croisée il y a vingt ans, quand j’écrivais mes chroniques dans 20 ANS, copine d’Alain Soral à l’époque – je ne sais pas s’ils le sont toujours, lui était bien communiste alors.

Tout ça ne veut tellement rien dire, ce pauvre manifeste, tout ça n’a tellement aucune gueule, aucun sens, contrairement à celui d’il y a 47 ans.

Bien sûr, évidemment, le retour effrayant de la morale, avoir le droit de draguer, avoir le droit de baiser – bien sûr.

Je constate, comme ces femmes, que nous vivons un retour en arrière effrayant, sur la liberté sexuelle, sur la religion – quelles qu’elles soient, toutes, des horreurs. Et le traitement des femmes, ou des personnes homosexuelles, de ceux qui ne pensent pas comme vous, des autres, dans toutes les religions, ne sera jamais acceptable, discutable, envisageable sereinement, genre “on se met autour d’une table, on discute”.

Personnellement je pense que non, on ne discute pas.

Et Dieu n’existe pas, non.

Tout comme le harcèlement sexuel ne se discute pas.

Et je ne parle même pas d’agression ou de viol.

Il y a une phrase très très bizarre, dans ce texte : “Cette fièvre à envoyer les porcs à l’abattoir, loin d’aider les femmes à s’autonomiser, sert en réalité les intérêts des ennemis de la liberté sexuelle, des extrémistes religieux, des pires réactionnaires.”

Ben non.

Et c’est ici que le texte vrille – en plus d’être assez mal écrit.

L’affaire Weinstein, pour la nommer, ne parle de pas religion. Elle ne sert pas les intérêts des musulmans, ou des catholiques, ou des juifs, elle dénonce juste des attitudes – qui n’ont rien à voir avec la religion, il ne faut pas juste tout confondre sous prétexte que les religions, en ce moment, moi le premier, nous saoulent tous, prennent une place absurde, et viennent pourrir tous les débats.

Je suis, pour ma part, pour une liberté sexuelle totale, entre personnes adultes, consentantes, et de n’importe quel sexe. Je suis follement pour le droit de baiser, quand on veut, qui on veut – si chacun est d’accord, a envie. Mais je n’ai jamais – et les gens que j’aime non plus, pour certains grands joueurs en matière sexuelle – outrepassé le désir de l’autre. Pour jouer, il faut être deux. Si l’on n’a pas envie de jouer, on ne joue pas, chacun a ses raisons, chacun fait comme qu’il veut, toujours cette idée du bon sens, du respect, proposer c’est une chose, harceler en est une autre, importuner en est une autre.

Moi je déteste qu’on m’importune, et je déteste importuner les autres – je déteste qu’on me fasse chier. Même s’il a sûrement dû m’arriver dans la vie, sans le vouloir, d’importuner quelqu’un. D’être un peu insistant, pas physiquement bien sûr, mais dans des mots, ou dans des lettres, quelqu’un que vous aimez follement, qui vous rejette, et que vous essayez de convaincre, en étant un peu insistant – et je parle là d’histoire d’amour, pas d’essayer de baiser quelqu’un. Je ne parle pas d’une main au cul, ou d’un geste déplacé – d’une parole insultante, telles qu’elles volent, en ce moment, mais genre en escadrilles, dans la rue et sur internet, à la télévision, que ç’en est honteux et révoltant à ce point, absolument insupportable. Je ne parle pas des agressions et des viols, et encore moins des meurtres, tels que malheureusement ils existent, tous les deux ou trois jours dans ce pays, osons regarder où nous en sommes.

Ce n’est pas servir les intérêts de la religion, Catherine, que de dire qu’on ne traite pas une femme de pute dans la rue, qu’on ne lui demande pas de venir vous sucer, qu’on ne lui met pas une main au cul. Cela ne se fait peut-être pas très souvent dans le Vème arrondissement de Paris, mais cela malheureusement se fait, beaucoup, et cela importune, et cela ne se fait pas. Cela n’est pas acceptable.

Et c’est quelqu’un qui n’a pas de morale religieuse qui vous le dit, qui déteste toutes les religions, l’idée même de la religion, qui déteste “la bourgeoisie”, qui a même une vieille tendresse pour un idéal punk.

Je vois ce qu’il y a d’excitant là-dedans, je sais votre finesse d’esprit, je vois ce que vous voulez dire : être en dehors de la bien-pensance, du bon goût, être un peu Bukowski, un peu Henry Miller – des auteurs que j’adore, être du côté du diable plutôt que du Bon Dieu, être du côté du cul.

Mais là, Catherine – et je vous appelle comme ça une dernière fois, pardon, je me permets cette familiarité, mais seulement parce que, vraiment, je vous aime et je vous respecte, mais vous n’êtes pas du côté du cul, là, vous êtes du côté d’Elisabeth Levy, vous êtes du côté d’une espèce d’extrême-droite anarchiste moisie, telle que la France en a toujours connue, et qui n’a pas laissé que de très bons souvenirs dans l’Histoire de notre pays.

Je vous dis ça très tendrement.

L’impression que ça ne vous ressemble pas.

Que votre nom, dans cette liste, contrairement à celle d’il y a 47 ans, sonne si faux, l’impression qu’on vous utilise, qu’on ne parle que de vous.

Je vous assure, pour autant, qu’il me faudra plus qu’une signature, au bas d’un mauvais texte, pour cesser de vous aimer et de vous respecter.

Mais pour 80% des gens dans ce pays, vous savez, la vie est vraiment difficile.

Il y a le manque de travail, le manque d’argent, le manque d’amour, le manque de respect, il y a les maladies, il y a les accidents, il y a les ruptures, il y a les deuils.

La vie est suffisamment compliquée, douloureuse, invivable.

Il devrait y avoir, en plus, vraiment, écrit dans la Constitution, la liberté de ne pas être importuné.

ADDENDUM / Respect et admiration pour le travail de la grande Barbara Kruger (voire illustration), et pour tous les Kruger d’ailleurs.


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2 commentaires

  1. peggy puichaffret dit :

    Merci.
    Cela ne va peut-être pas vous plaire, vous m’avez redonner la foi.
    Merci.

  2. Rosemarie dit :

    Joli texte , clair et net et en même temps empreint d’une belle douceur……

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