La Paix dans le monde (2)
“J’ai franchi sur un pont de corail / Quelque chose qui ne permet pas le retour.”
C’est un haïku de Paul Claudel, dans son petit recueil de poèmes : “Cent phrases pour éventails” – quel joli titre.
Je suis comme Simon, je n’aimais pas tellement Paul Claudel. J’étais idiot.
Je l’ai découvert via ce haïku. Je ne connais pas bien son œuvre. Mon copain Eric Vigner monte en ce moment son “Partage de midi”, mais je ne l’ai pas encore vu – mon Titi devait jouer dedans, je ne sais pas ce qui s’est passé. J’espère pouvoir aller le voir.
On a fleuri la tombe de Robert Brasillach, ces derniers jours, très récemment. J’imagine cette personne qui se lève un matin et se dit : « Tiens, je vais aller fleurir la tombe de Robert Brasillach !” Et qui le fait. Je connais un peu ces gens-là – je crois avoir fait un film sur eux. Mais ils me surprendront toujours. Comme ce garçon gilet-jaune et barbu qui pense qu’on va lui mettre une balle dans la tête, qui veut décapiter Emmanuel Macron et sa femme, ami des nouveaux fascistes italiens…
Je ne sais pas ce que dirait Simon. Ni ce qu’en penserait Paul Claudel.
Sans doute rien.
J’étais devant une commission, avant-hier, une commission pour mon prochain film, qui parlera un peu de ça. Il y avait des gens sympathiques, d’autres moins. On me demande : “C’est un thriller ?”, et moi je réponds oui, bien sûr, c’est un thriller. Et je regarde ces gens, et je pense à Claudel, à Simon : “J’ai franchi sur un pont de corail / Quelque chose qui ne permet pas le retour”. Je n’ai aucune envie de rire – mon prochain film n’est pas très drôle, en plus, pourtant c’est ça qu’il faudrait faire, rire. Simon rirait, je suis sûr. Je ne suis plus assez Simon, il faut que je redevienne Simon. Tout le monde se prend tant au sérieux – moi le premier.
La terre brûle, les gens pleurent.
J’ai regardé l’autre nuit “Un voyage musical avec Gilberto Gil”, sur Arte. C’est un documentaire magnifique ; on y voit cet homme merveilleux, ce musicien, ancien Ministre de la Culture – avant Bolsonaro bien sûr, qui se balade en short, en tongs, les cheveux blancs, devenus rares, et qui va jouer de la musique, avec les aborigènes, qui se fait peindre le visage en blanc; puis en Afrique du Sud, à Soweto, avec les musiciens locaux, et le concert est magnifique. Simon aurait adoré ça : c’était tellement beau à entendre et à voir. Il n’y a rien que la beauté. Un peu de beauté dans ce monde de merde. “Si les gens n’étaient pas méchants, je leur passerais bien d’être bêtes, mais, pour notre malheur, ils sont l’un et l’autre.” George Sand a écrit ça à Flaubert. Lucie en avait parlé à Simon. J’ai pensé à ça avant-hier, en partant. Et ça m’a au moins fait sourire.
Les gens pleurent, la terre brûle.
“Fixez un point tout au bout d’une route. Un point qui semble inaccessible, invraisemblablement loin. Vous êtes à pied, disons, ou sur un véhicule à traction musculaire. Chaque centimètre qui vous rapproche de ce point nécessite un effort, une douleur, une tension. Plus vous pensez vous en approcher, plus le point a l’air inatteignable. Au bout de quelques minutes, une pensée, une image, une odeur, quelque chose vous distrait, l’inaccessibilité s’envole. Vous êtes ailleurs, vous ne pensez plus au point, à la douleur, aux pas qui s’additionnent. Tout à coup il est là, vous y êtes. Vous le dépassez sans même le voir. Puis la pensée qui vous inondait s’échappe, vous repensez au point, il est loin derrière vous. Alors vous en pointez un autre, un autre inaccessible, très loin à l’horizon.”
C’est un passage de “La Paix dans le monde” que nous avons coupé avec Fred. J’ai beaucoup hésité à le faire, mais nous avons eu raison de le couper.
Ce n’est pas un texte qui a besoin d’être joué. Ce petit texte, c’est notre vie. J’allais dire “nous marchons” – mais je ne peux plus employer ce terme. Nous avançons, nous nous battons. Contre les bêtes et les méchants. Contre les cons. Et évidemment j’ai la liste – et cela me fait mais tellement rire ! Et quand je ris je suis Simon. Je suis heureux.
“J’ai franchi sur un pont de corail / Quelque chose qui ne permet pas le retour.”