Mariage pour tous

J’ai rendez-vous avec Alexia et Camille au Brébant. Avant j’aimais bien le Brébant, boulevard Poissonnière, mais je déteste ce que cette brasserie est devenue. Seulement il y a une grande terrasse, où l’on peut fumer en hiver, et pour les rendez-vous boulot c’est mieux.

Je suis un peu en avance, une surprise m’attend : Alain est là, il répond à une interview je crois, une femme à côté de lui prend des notes. Je suis toujours tellement heureux de le voir, le croiser. On parle un peu, une minute, mais je ne veux pas le déranger. Nous prenons rendez-vous, je vais m’asseoir au fond.

Il est 11h45 du matin, l’heure horrible, à Paris, dans les cafés. L’heure où les garçons dressent les tables en terrasse, où l’on ne peut plus prendre un café. Au Brébant, les seules tables non dressées à cette heure sont celles sur les côtés, tout au fond. Je m’en fous, cela me va, il y a juste un couple installé. Je m’assois à côté, je commande un café.

Ils ont trente-cinq ou quarante ans, lui se rase la tête, il porte des petites lunettes. Elle, est un peu grosse, mais jolie, elle a l’air grande, ils se tiennent la main. Ils portent chacun une alliance. Je ne sais pas pourquoi je remarque ça. Puis ils s’embrassent, sans du tout faire attention à moi. Ils ont l’air amoureux. Complices. Heureux.

Je ne fais rien, j’attends. Je ne fais pas attention à eux. Je range mes gants dans mon casque, je pose le casque sur une chaise, je regarde mes emails, mes textos, j’allume une cigarette. Je regarde Alain, de loin, je le trouve très beau, il a blanchi. Des souvenirs me reviennent, dix ans de ma vie, puis j’entends la femme à côté.

Elle dit : « Tu sais que mon fils mesure 1 mètre 84 ? » Je tends l’oreille. « 1 mètre 84 !? répond l’homme. – Oui, à 13 ans ! dit la femme. Tu te rends compte ? » Puis elle sort son téléphone et lui montre une photo. « Tiens, regarde ! » Et l’homme regarde, je vois aussi. C’est une photo pourrie, genre à Noël, avec un homme brun à côté, qui perd ses cheveux. « C’est ton mari ? demande l’homme. – Oui, répond la femme, mais là il est pas terrible… – Je ne trouve pas, répond l’homme, moi je le trouve magnifique. – Je voudrais qu’il se rase la tête comme toi, dit la femme. Je n’arrête pas de lui dire depuis qu’il perd ses cheveux… Mais il veut pas ! – Mais non, dit l’homme, d’un air gentil, il est très bien comme ça. »

La femme sourit, et ils s’embrassent.

« Tu n’as pas une photo récente de Sophie ? demande la femme. – Euh, si, répond l’homme. Je crois… » Puis il fouille dans son téléphone, montre une photo, que je vois mal. « Mais qu’est-ce qu’elle est belle ! dit la femme. – C’est vrai qu’elle est jolie, répond l’homme, la petite lui ressemble, d’ailleurs, mais tu es tellement belle aussi ! – Non, dit la femme. Je suis beaucoup moins jolie qu’elle ! – Non, lui dit l’homme, détrompe-toi. Tu es largement aussi belle. »

La femme sourit, et ils s’embrassent.

Il est maintenant midi. Alexia et Camille vont arriver. Nous allons parler travail.

Je me dis qu’en rentrant, sur cette toute petite anecdote, je ferai un papier. “Mariage pour tous” ça s’appellera. Sans juger. À l’heure où tant de teubés vont se retrouver dimanche, dans la rue, pour juger, pour ériger le mariage hétérosexuel en modèle absolu, inattaquable, insubmersible. À l’heure où le mensonge fera la une des JT.

J’ai signé la pétition du Nouvel Observateur – jamais autant signé de pétitions de ma vie ! Mais j’ai bizarrement oublié de répondre à leur demande de me filmer en déclarant : “Oui, je le veux” et d’envoyer la vidéo. « Même faite avec un téléphone » ils disaient.

Je n’ai pas grand goût pour l’adultère, je suis un romantique, au sens punk du terme. “Quand on est romantique on ne court pas ! » (blague que comprendront trois personnes).

Que les gens se démerdent, fassent de leur mieux, pour être heureux. Et que personne ne juge, vraiment, que personne n’ait un avis. Plutôt que d’aller défiler, occupez-vous de vos fesses, ai-je envie de dire.

Il y a suffisamment de boulot.

ADDENDUM/ Cette fois, si, allez hop, au concert ! “Valentine Duteil”, tous les mardis à 20h, au Théâtre Les Déchargeurs, à Paris. Le lien est . C’est magnifique. Venez.


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2 commentaires

  1. LM ARNAL dit :

    Soyons honnête….
    Moi, je me fous de ce que les gens font dans la vie privée.
    D’ailleurs je ne veux pas le savoir.

    Par contre j’ai horreur de l’exclusion que ce soit des hommes (androgynie) ou des femmes (misogynie). Et je suis pour la différence. Pour moi l’homosexualité, ça dit beaucoup sur l’exclusion–exclure ceux qui ne nous ressemblent pas. Et à ce titre je m’y oppose. Dans le milieu du boulot par exemple où le piston règne, ça peut avoir un impact détrimental. Dans le domaine de la mode c’est pire–car comment un homme pourrait il oser dire aux femmes ce qu’il faut porter pour être belle?? Et tant sont prête à devnir des squelettes ambulants et écouter n’importe quoi.
    Bref! personnellement j’aime le sexe opposé car j’apprends toujours quelque chose de nouveau.
    ps: Patrick, peux tu me contacter au email ci dessus, stp–j’ai une question à te poser re-production.

    LM ARNAL

  2. Ramir dit :

    Vous semblez mettre au même niveau le mariage (qui concerne la vie publique, symbolisé par la publication des bans) et les relations privées, qu’elles soient dans le cadre d’un mariage ou non.

    L’histoire a montré que la non distinction entre le public et le privé est la base du fascisme.

    À bon entendeur.

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